Le secret d'Eleusis
calme, du calme, dit Mikhaïl en souriant. Ce n’est pas le moment de lancer des insultes. Je ne tue que lorsque j’y suis obligé, surtout les personnes que j’admire. Et je vous admire beaucoup, Nadia. Alors, à votre place, je ne compromettrais pas cet atout.
Il se mit à marcher autour de Nadia en l’observant attentivement.
— Dites-moi, êtes-vous gauchère ou droitière ? demanda-t-il.
— Quoi ?
Il sortit une pince de sa poche.
— Je vous le demande pour votre bien, précisa Mikhaïl dans l’espoir d’obtenir une réponse. Vous ne dites rien ? Bon. Vous portez votre montre au poignet gauche. J’en déduis donc que vous êtes droitière. N’hésitez pas à me corriger si je me trompe.
Il prit le pouce gauche de Nadia, l’écarta des autres doigts et le plaça entre les mors de la pince.
— Non ! supplia Nadia en se tortillant sur sa chaise. Je vous en prie !
Il l’ignora et commença à serrer. Elle se crispa et ferma les yeux, comme si cela allait la soulager. Mais elle ne pouvait pas fermer les oreilles. Elle entendit le craquement de l’os et le bruit écœurant des nerfs broyés et tordus. Puis la douleur lui parvint au cerveau. Elle avait l’impression qu’on lui enfonçait des clous dans le bras. Elle s’arqua et remua sur sa chaise en poussant des hurlements incessants, car hurler était la seule chose qu’elle puisse faire. Enfin, elle atteignit le paroxysme de la douleur, qui amorça ensuite sa descente à un degré toujours intense mais gérable. Elle ne put s’empêcher de regarder sa main. Son pouce n’était plus qu’un horrible amas de chair mutilée, qui devenait déjà violette, puis noire. L’ongle, poussé par l’afflux de sang, était bombé et bordé d’un arc de cercle sanguinolent. Elle sut avec certitude qu’elle ne pourrait plus jamais se servir de ce doigt.
Mikhaïl s’accroupit en face d’elle, les mains sur les genoux, et l’examina avec la curiosité d’un zoologiste confronté à une espèce inconnue. Il sortit un mouchoir de sa poche. Puis il essuya les yeux de Nadia et sourit de façon presque compatissante avant de lui prendre l’index gauche.
— Je vous en supplie, sanglota Nadia, transie de peur. Je ferai tout ce que vous voudrez, je le jure ! Dites-moi ce que vous voulez !
Mikhaïl la regarda, un peu déçu par son manque de discernement.
— Je veux vous faire du mal, dit-il.
II
— Vous devez connaître les théories à ce sujet, présuma Franklin. Pourquoi des hommes aussi avertis que Sophocle et Aristote auraient-ils été captivés par les mystères d’Éleusis à moins d’avoir fait l’expérience de quelque chose de véritablement transcendant ? Et quelle est l’explication la plus simple ? Un coup de théâtre fulgurant ? Une réalité philosophique qui nous a toujours échappé depuis ? Ou une bonne dose d’acide dans une boisson ? Après tout, une des rares choses que nous sachions à propos d’Éleusis, c’est que les initiés buvaient un breuvage à base d’orge appelé kykeon . Or, c’est sur l’orge que pousse l’ergot, utilisé dans la fabrication du LSD. Et le recours aux drogues pour faire l’expérience du divin a toujours été très courant. Pensez au soma hindou, par exemple. Et il y a également eu le peyotl au Mexique, le cannabis en Allemagne.
— Le lotus bleu en Égypte, suggéra Knox.
— Exactement. Les Aztèques désignaient les champignons à psilocybine sous le nom de teonanacatl , ce qui signifie littéralement « chair des dieux ». Chez les Grecs, les champignons venaient de Zeus, car ils poussaient souvent après les orages. C’était la pluie, bien sûr, qui favorisait leur développement, mais les Anciens pensaient qu’ils étaient apportés par la foudre.
Un homme et une femme passèrent devant la fenêtre. Enlacés, ils se parlaient en se regardant dans les yeux.
— Zeus était le dieu de la Foudre, continua Franklin. Par conséquent, c’était lui qui plantait les champignons. Et lorsqu’on en mangeait, on avait sans aucun doute un aperçu de ce qui était considéré comme le divin. Petitier aimait à dire que l’eucharistie catholique était à l’origine une simple Amanita muscaria – le fameux champignon au chapeau rouge et blanc.
— Une amanite tue-mouches ?
— Absolument. De nombreux indices, comme les magnifiques fresques de la chapelle de Plaincourault, montrent que ces champignons étaient sacrés au sein de l’Eglise
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