Le secret d'Eleusis
expressionnistes sans cadre. Il s’approcha du bar et remplit un verre à liqueur en verre dépoli, qu’il vida d’un trait, avant de se resservir aussitôt.
— Ma femme n’aime pas que je boive en public, confia-t-il. Je ne sais pas m’arrêter et, ensuite, je dis des choses embarrassantes.
Il se tourna vers Knox avec un regard éloquent.
— Elle déteste que je la mette dans l’embarras, ajouta-t-il. Alors je fais tout ce que je peux pour éviter ça, parce que je l’aime.
— Je comprends, dit Knox.
Franklin remplit un second verre et le lui tendit.
— Vous fumez ? demanda-t-il.
— Non, merci.
— Cela ne vous dérange pas que je fume ?
— Non, je vous en prie.
Ils s’assirent dans des fauteuils orientés obliquement vers la fenêtre, à travers laquelle ils virent passer quelques voitures et de rares piétons. Franklin alluma son cigarillo, d’où émana une fumée aromatique.
— Je suis désolé de ne pas avoir mentionné cet article, dit-il enfin. J’étais censé ne plus jamais en parler. J’avais donné ma parole.
— À votre femme ?
— Oui, et surtout à son père.
— Votre mentor. Vous lui aviez promis de changer de vie et il vous avait donné une seconde chance.
— Exactement.
— Mais je dois savoir.
Franklin s’affaissa dans son fauteuil et disparut dans l’ombre. Seul son cigare étincelait lorsqu’il en tirait une bouffée.
— C’était l’idée de Petitier. Il a exercé beaucoup plus d’influence sur moi que je ne veux bien l’admettre. Je vous ai déjà raconté son combat contre l’histoire eurocentrique, mais ce n’était pas le seul. Il détestait les institutions de l’ establishment , en particulier l’arrogance et l’autorité des tenants de l’ordre établi. Il avait été élevé dans la religion catholique mais, bien sûr, il s’en est détourné. Seulement, il ne pouvait pas en faire abstraction, comme la plupart des catholiques non pratiquants. Il avait l’esprit de revanche.
Une voiture se gara non loin de la maison, dans la rue. Les portières s’ouvrirent et se refermèrent. Knox tendit l’oreille en se demandant si Nergadze avait pu le suivre jusqu’ici.
— Il est devenu littéralement obsédé par l’absurdité de la foi, poursuivit Franklin. Tourner la religion en ridicule faisait partie de ses passe-temps favoris. C’est la raison pour laquelle il s’est passionné pour Éleusis, pour ces Grecs brillants et pourtant convaincus qu’ils avaient trouvé quelque chose de sacré et de transcendant. Il était sûr qu’il parviendrait à déterminer de quoi il s’agissait et à en extraire le caractère mystique, afin de discréditer la foi.
— Et alors ?
— Il avait écrit son article à l’occasion d’une série de conférences en France, mais plus aucune revue n’acceptait de le publier.
Franklin se pencha vers le cendrier.
— Moi, en revanche, je n’avais aucune raison de ne pas être publié, reprit-il. Alors c’est moi qui ai soumis l’article. Il fallait une certaine dose de malice, j’en conviens. Mais, à l’époque, j’étais d’humeur malicieuse. Cet article expliquait les mystères grecs et, de fait, toutes les religions occidentales établies, par le recours à l’ergot.
— L’ergot ?
— Un champignon parasite, qui se développe naturellement sur les graminées et les céréales. Il s’agit de l’ancêtre de l’acide lysergique diéthylamide.
— Quoi ? Du...
— Du LSD, parfaitement.
II
Nadia sentit l’odeur des sels et reprit connaissance. Elle essaya d’ouvrir les yeux, en vain. Elle ne pouvait que se fier aux sensations que lui procurait son corps. Elle était assise sur une chaise dure. Ses chevilles étaient attachées aux pieds de la chaise et ses poignets, aux montants du dossier. Ses liens étaient si serrés quelle avait des fourmillements dans les doigts et les orteils. Elle avait mal aux articulations. Un bâillon lui couvrait les lèvres et les gencives. Elle avait un torticolis. Soudain, gagnée par la panique, elle se mit à se débattre.
— Du calme ! maugréa un homme en géorgien. Comment voulez-vous que j’enlève ce truc si vous ne vous tenez pas tranquille ?
Elle inspira profondément par le nez et s’efforça de garder son sang-froid. Il y avait un temps pour tout.
— Bien, la félicita l’homme, avant de dénouer et de retirer son bâillon. Criez si vous voulez. Personne ne vous entendra et je n’aurai qu’à vous
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