Le secret d'Eleusis

primitive. Bref, pour Petitier, le corps du Christ était un champignon hallucinogène.
    — Je commence à comprendre pourquoi vous avez eu des problèmes.
    — C’était un pavé dans la mare, mais cette théorie présentait plusieurs points faibles.
    Franklin tira une dernière bouffée de son cigare et l’écrasa dans le cendrier de verre en dispersant de minuscules braises.
    — Pour commencer, on ne peut pas prévoir le développement de l’ergot, déclara-t-il. De plus, il pousse rarement en grande quantité. L’extraction de LSD est une procédure complexe à l’issue incertaine. Les expériences auraient été extrêmement disparates. Certains initiés seraient tombés malades ou décédés ; d’autres n’auraient rien remarqué du tout. Par ailleurs, les Grecs connaissaient très bien les drogues et leurs effets. Ils ajoutaient toutes sortes d’herbes puissantes à leur vin. Ils consommaient régulièrement du chanvre et des opiacés. Par conséquent, est-il possible que tant d’hommes aussi intelligents et expérimentés aient été défoncés sans s’en rendre compte ? Et s’ils s’en étaient rendu compte, auraient-ils vraiment considéré cette expérience comme la grande révélation sacrée de leur vie ?
    — Les opiacés et le chanvre procurent des sensations très différentes du LSD, fit remarquer Knox.
    — Vous raisonnez comme Petitier, murmura Franklin en souriant. De son point de vue, il n’y avait qu’une seule question à se poser : comment les officiants d’Éleusis préparaient-ils leur potion avec la technologie dont ils disposaient ? Et il était certain qu’il trouverait la réponse.
    Knox se leva. Il prit son verre ainsi que celui de Franklin et alla les remplir au bar.
    — Alors c’est pour ça que vous étiez dans le pétrin ? demanda-t-il en se retournant vers Franklin. Petitier et vous cherchiez le secret du kykeon  ?
    Franklin acquiesça en prenant son verre.
    — Nous avons tout essayé : LSD, LSA, LSM et autres dérivés de l’ergot, mélangés aux opiacés, à la marijuana, aux champignons magiques et Dieu sait quoi d’autre, énuméra-t-il. Pour nous, il s’agissait de recherches universitaires sérieuses. Nous étions convaincus d’être des pionniers !
    Il éclata de rire.
    — Après, on prenait des notes, se souvint-il. Petitier y tenait beaucoup. C’était du charabia, bien sûr. On se racontait des histoires. En réalité, on était jeunes et on prenait du bon temps. Beaucoup trop.
    — Trop ?
    Franklin leva son verre et fit mine de porter un toast.
    — Je suis devenu accro, avoua-t-il. Le LSD ne provoque pas de dépendance, le chanvre non plus, mais d’autres ingrédients de nos cocktails créaient une forte addiction. Ma main gauche s’est mise à trembler. Ma capacité de concentration s’est réduite. Je me suis désintéressé de tout ce qui me passionnait auparavant. J’étais conscient de tout cela, mais je ne savais pas quoi faire pour y remédier.
    Il leva les yeux vers le plafond.
    — C’est là que j’ai rencontré Maria, confia-t-il. C’est sans doute en partie pour cette raison, par instinct de survie, que je suis tombé si amoureux d’elle. Elle a été ma bouée de sauvetage.
    Son regard se perdit dans le vague.
    — Est-ce qu’il y a une personne à laquelle vous teniez vraiment dans votre vie ? demanda-t-il. Quelqu’un pour qui vous seriez prêt à faire n’importe quoi ?
    — Oui, répondit Knox.
    — Gardez-la bien.
    — C’est bien mon intention.
    Knox posa son verre.
    — Donc, résuma-t-il, vous avez rencontré votre future femme et arrêté de vous droguer. Et Petitier ? Si on était au courant de votre toxicomanie, je suppose que la sienne n’était un secret pour personne.
    — La Mission archéologique française n’a pas pu l’ignorer plus longtemps, pas après la scène qu’il a faite à la conférence sur Evans, parce qu’il était ivre mort à ce moment-là. Il est donc parti. Et, ironie du sort, ses idées ont gagné du terrain depuis. Je crois qu’aujourd’hui la plupart des chercheurs admettent que le kykeon contenait une drogue. Les initiés ont décrit leurs expériences en termes physiologiques : ils étaient en sueur ; ils avaient des crampes. Ils donnent l’impression que c’était autant une épreuve qu’un moment d’extase. C’est exactement l’effet provoqué par l’acide. Vous pouvez me croire sur parole. C’était comme si votre âme était