Le secret d'Eleusis
contre le matelas. L’homme lâcha son arme et posa les mains derrière la nuque, mais il était blessé. Il fit demi-tour pour s’enfuir. À cet instant, il croisa le regard de Nina. Ils partagèrent les mêmes sentiments humains de confusion et de peur.
Les balles continuèrent de pleuvoir dans la chambre. Kiko pleurait. Eliso et Lila étaient pâles et tremblantes. Ils ne pouvaient pas rester là. Les coups de feu cessèrent un moment.
— Suivez-moi ! cria Nina. Baissez la tête !
Elle emmena ses enfants, qui se tenaient encore par la main, jusqu’au couloir. Là, c’était le chaos. Des hommes et des femmes, dont la moitié était encore en pyjama, sortaient en courant de leur chambre et se heurtaient les uns aux autres, sans vraiment savoir ce qui se passait ni où aller. Une autre explosion retentit et souffla les fenêtres qui donnaient sur la cour, désormais couverte d’éclats de verre. Nina regarda ses enfants, qui allaient pieds nus.
— Faites attention, dit-elle en rasant le mur intérieur. Marchez dans mes pas.
À travers une fenêtre ouvrant sur la cour, elle aperçut les grandes portes en bois fracassées, suspendues à leurs gonds, et des véhicules blindés, qui traversaient le pont-levis en direction du château. Un hélicoptère se posa au milieu de la cour ; des soldats engoncés dans leur gilet pare-balles descendirent et se postèrent tout autour. D’autres hélicoptères bombardèrent les remparts. Des hommes commencèrent à sortir par les portes, les mains en l’air en signe de reddition. Les soldats les couchèrent sur le ventre et leur attachèrent les poignets à l’aide de menottes flexibles. Nina considéra que c’était là que ses enfants et elle seraient le plus en sécurité. Ils atteignirent la tourelle, descendirent l’escalier en colimaçon et croisèrent un homme, un lance-roquettes sur l’épaule et le visage déformé par l’exultation guerrière. Arrivée en bas de l’escalier, Nina s’arrêta et jeta un regard furtif dans la cour. Des coups de feu firent voler des éclats de roche dans les airs.
— Il y a des enfants, ici ! cria-t-elle.
Les coups de feu cessèrent aussitôt. Elle regarda de nouveau à l’extérieur. Un soldat à genoux lui fit signe d’approcher. Elle leva les mains et sortit, suivie de ses enfants. L’homme lui montra la pelouse et lui conseilla de se coucher. Kiko pleurait et gémissait ; les filles, le teint blafard, avaient les jambes en coton. Nina passa les bras autour d’eux pour les protéger et les rassurer de son mieux. Le combat reprit de plus belle dans le vacarme des grenades flash et les hurlements des soldats, sur les nerfs depuis trop longtemps. Puis soudain, les déflagrations s’espacèrent et tout s’arrêta.
On n’entendait plus que les cris plaintifs des hommes, les sanglots des femmes, les hennissements des chevaux, qui donnaient des coups de sabot dans les écuries. Des personnes de premier plan, que Nina avait vues à la télévision, sortirent peu à peu du château.
Les yeux baissés, elles savaient que leur richesse et leur statut ne leur seraient d’aucun secours. Ilya Nergadze lui-même fut conduit jusqu’à un véhicule cellulaire. L’espace d’un instant, Nina eut envie de pousser un cri de triomphe. Puis elle vit sur le visage du patriarche une rage meurtrière ; elle détourna le regard en priant pour que celui-ci ne l’ait pas vue.
Un homme vêtu d’un vieil uniforme de police noir traversa la pelouse en tenant un mouchoir ensanglanté contre son nez. Il n’avait l’air de rien, mais tout le monde le traitait avec déférence.
— Vous devez être Nina, dit-il.
Sa blessure lui donnait une voix nasillarde, comme s’il avait un rhume. Il s’accroupit et ébouriffa les cheveux de Kiko.
— Et toi, tu dois être Kiko, ajouta-t-il.
— Oui, confirma Kiko en s’essuyant le nez et les yeux. Qui êtes-vous ?
— Je m’appelle Viktor. Je suis un ami de ton père.
— C’est lui qui vous a appelé ? demanda Nina.
— Oui, c’est lui.
— Tout ça uniquement parce qu’il vous a appelé ? insista Nina, perplexe.
Viktor éclata de rire.
— Disons qu’il nous a fourni un prétexte pour intervenir, expliqua-t-il avant de se relever. À propos, je suppose qu’aucun d’entre vous n’a entendu parler de la fonte d’objets en or.
IV
Knox ne savait pas ce que l’homme avait dit pour lui éviter le supplice de la pince, mais il lui en était reconnaissant.
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