Le secret d'Eleusis
la police envisage d’accuser votre ami de meurtre.
II
Un appartement, Tbilissi, Géorgie
Les coups de marteau reprirent à l’étage supérieur. Rezo et ses foutus travaux ! Nadia Petrova leva les yeux au plafond. Elle ne cessait de lui faire des reproches mais, avec son bleu de travail, ses cheveux poussiéreux éclaboussés de peinture et ses ridules autour de son sourire enjoué, il avait quelque chose qui lui faisait immédiatement oublier sa colère. Jusqu’à ce quelle redescende chez elle et l’entende de nouveau taper comme un sourd...
Elle soupira et termina son article de façon un peu plus abrupte qu’à son habitude, avant de le relire et de le poster sur son blog. Elle éteignit son portable. Ça suffisait comme ça. Elle avait travaillé comme un forçat toute la semaine et s’était promis de prendre sa soirée. Elle resta assise un moment, tournée vers la fenêtre, et contempla les maisons accrochées à la colline, délabrées mais superbes avec leurs cheminées en briques tordues et leurs toits recouverts de lierre et de grappes de fleurs violettes. L’espace d’une seconde, elle y entrevit une métaphore de sa chère ville, qu’elle aurait pu utiliser dans un de ses prochains articles de journaux, mais son esprit était trop fatigué pour la retenir et la laissa s’abîmer dans l’oubli.
Elle se leva et se dirigea vers la cuisine. Sa claudication, qui datait du jour où elle était montée à l’arrière d’une moto avec un idiot trop avide de l’impressionner, était toujours plus prononcée après une journée passée à son bureau. Il restait de la soupe au réfrigérateur. Nadia alluma la gazinière pour la réchauffer. Puis elle sortit une bouteille de vin blanc, mais attendit un peu avant de l’ouvrir, afin de mieux savourer cet instant. Curieusement, elle éprouvait toujours le frisson de l’interdit lorsqu’elle débouchait sa première bouteille de la soirée. C’était la promesse d’un moment de bonheur ou, tout du moins, de répit. Elle regarda pensivement le plafond. Rezo boirait peut-être bien un verre avec elle. Au moins, pendant ce temps-là, il se tiendrait tranquille.
Nadia réfléchissait encore à la question lorsque le téléphone se mit à sonner. Sa nuque se raidit aussitôt ; elle détestait le téléphone. Elle avait envie de faire comme si elle n’avait rien entendu et de laisser le répondeur prendre le message, mais elle était journaliste avant tout. C’était peut-être important.
— Oui ? soupira-t-elle. Qui est-ce ?
— C’est moi, Gyorgi.
— Gyorgi ?
— Des Opérations aéroportuaires, vous vous souvenez ?
— Oh ! excusez-moi ! s’écria Nadia en prenant de quoi noter. La journée a été longue.
— Ne m’en parlez pas, se lamenta Gyorgi avec un petit rire sans joie. Je suis arrivé à six heures ce matin. Et quelle heure est-il maintenant ?
— Alors, il est de retour ? C’est pour ça que vous m’appelez ?
— Non, mais le Gulfstream des Nergadze s’apprête à repartir pour Athènes. J’ai pensé que cela vous intéresserait. Quatre passagers à l’aller, pas de retour prévu. Je continue ?
Nadia retira le capuchon de son stylo avec les dents.
— Je vous écoute.
— Mêmes conditions que la dernière fois ? demanda Gyorgi.
Bien sûr, répondit Nadia.
Elle ne savait plus combien elle l’avait payé la dernière fois, mais elle se souvenait qu’il n’était pas cher. Dettes de jeu, d’après Petr. Et elle était mal placée pour critiquer.
Alors voilà, annonça Gyorgi : départ de l’aéroport international de Tbilissi à dix-huit heures quarante-cinq. Durée du vol : quatre-vingt-dix minutes. Arrivée au terminal privé de l’aéroport Elefthérios-Venizélos d’Athènes à dix-neuf heures quinze, heure locale. Il y a une heure de décalage horaire. Les passagers sont Boris Dekanosidze, Édouard Zdanevich, Zaal Markizi et Davit Kipshidze. Ça vous dit quelque chose ?
— Non, mentit Nadia.
Elle avait reconnu trois des quatre noms, mais n’avait pas l’intention de le dire à un homme d’une telle indiscrétion.
— Je ne peux pas arriver à Athènes avant eux, je suppose, risqua-t-elle.
— Vous me prenez pour une agence de voyages ?
— Je me posais juste la question.
— Il n’y a pas de vol direct de Tbilissi à Athènes, soupira Gyorgi. Il faudrait que vous passiez par Istanbul ou Kiev. Et vous n’arriveriez pas ce soir, pas en partant aussi tard.
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