Le secret d'Eleusis
Est-ce que ma parole ne vous suffit plus ?
— Messieurs, messieurs, intervint Sandro. Nous devons nous faire confiance. C’est pour cette raison que nous sommes tous ici.
Tout le monde était un peu tendu. Des rumeurs circulaient à propos d’un service de renseignements créé spécialement pour enquêter sur la campagne de Nergadze. Les mesures de sécurité avaient été renforcées, car personne ne voulait être amené à s’expliquer sur sa présence ici. Toutes les pièces avaient été passées au peigne fin en vue de dénicher d’éventuels micros, des précautions supplémentaires avaient été prises contre la surveillance aérienne et de nouveaux gardes avaient été recrutés. Mais cette débauche sécuritaire était à double tranchant, car elle rendait nerveux.
Sandro se tourna de nouveau vers le général.
— Partons du principe que la première partie de notre plan a fonctionné, proposa-t-il. Sinon, cette discussion n’a aucun intérêt. C’est le jour des élections. Les médias s’appuient sur les sondages pour annoncer une victoire inattendue d’Ilya Nergadze. Mais le gouvernement déclare qu’il a remporté les élections. Nous inondons les radios de révélations sensationnalistes : des laquais du gouvernement ont été vus en train de charger des urnes électorales à bord de mystérieux camions. Nos agents infiltrés dans les ministères organisent des fuites confirmant les faits. Dans le monde entier, nos alliés dénoncent la corruption du président. La cour suprême, l’Église et la police nous soutiennent ou, pour le moins, s’abstiennent de toute déclaration.
Il se pencha vers chacun de leurs représentants pour exprimer sa confiance.
— Au bout du compte, poursuivit-il en regardant le général, tout le monde se tourne vers l’arbitre suprême du pouvoir : l’armée. Le mois dernier, vous nous avez affirmé que vos collègues vous suivraient ou, du moins, qu’ils seraient suffisamment nombreux à vous suivre pour faire pencher la balance de notre côté. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Le général sentit son front transpirer. Lorsqu’il avait fait cette promesse, la cause d’Ilya Nergadze semblait encore désespérée.
— Comme je vous le disais, grommela-t-il, même si vous parvenez à faire croire que le président a volé sa victoire, toute l’armée ne va pas subitement changer de bord. Au mieux, il y aura des factions. Et je pourrai vous aider à manipuler ces factions.
— J’espère bien, murmura Sandro en s’adossant à son fauteuil.
Il leva les yeux vers les portraits de famille qui ornaient généreusement les murs de la salle du château. Toutes les générations étaient représentées, du règne d’Héraclius II jusqu’à nos jours. On retrouvait chez chaque homme les traits caractéristiques des Nergadze, présentés comme des êtres nobles, braves et puissants. Bien que signées par les grands maîtres de l’art géorgien, ces œuvres étaient des faux que Sandro avait commandités au cours de ces dernières années pour donner à sa famille le vernis de grandeur et de respectabilité dont elle avait besoin. Le monde entier était une imposture. Certaines personnes le savaient, mais la plupart l’ignoraient.
— Malheureusement, cela ne suffira pas, prévint le général. L’armée ne fonctionne pas de cette façon. Lorsque la chaîne de commandement est brisée, comme ce sera le cas dans la situation que vous évoquez, on devient dépendant d’autres facteurs, en particulier de la volonté des soldats. Ceux-ci ne se contentent plus d’obéir aux ordres. Ils doivent choisir à qui obéir. Et une chose est sûre, ils suivront les officiers qu’ils admirent et en qui ils ont confiance, pas ceux qui ont le plus de galons. Nous devons donc mettre ces officiers dans notre camp. Or, vous serez peut-être surpris d’apprendre que les hommes de cette trempe, ceux qui forcent le respect des soldats, attachent beaucoup d’importance à des valeurs telles que l’honneur, le courage et le patriotisme.
— Épargnez-nous votre sermon, coupa Ilya. Allez droit au but.
— Très bien, alors voilà, annonça le général en soutenant le regard d’Ilya, c’est très simple : ils ne changeront pas de camp. Pas pour vous, en tout cas. Ils ne vous aiment pas assez.
— Et pourquoi ? s’étonna Ilya.
— Parce qu’ils pensent que vous êtes corrompu. Et ils ne prendront pas le risque de provoquer une guerre
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