Le secret d'Eleusis
quand même perdu.
— C’est le jeu. Personne ne perd au bout du compte.
— Vous dites ça parce que vous n’avez jamais gagné votre vie en tapant dans un ballon.
Édouard sourit.
— Mon fils adore Pavel. C’est son héros. Son seul but dans la vie est de devenir deuxième ligne. Malheureusement, il tient de moi, le pauvre. Il aura de la chance s’il est assez grand pour être demi de mêlée.
— Demi de mêlée, c’est le meilleur poste. On a toute la gloire, toutes les filles et on ne prend pas de risques.
— Si seulement il pouvait vous entendre...
— J’aurai peut-être l’occasion de le lui dire un jour, si on se voit à un match. Je pourrai lui présenter Pavel, si vous voulez.
— C’est vrai ? Il serait fou de joie. Il adore le rugby et je serais son héros si vous...
— Vous avez l’intention de jacasser toute la journée ? demanda Boris, qui se tenait près de la porte avec Mikhaïl et la prostituée.
— On arrive, dit Davit en se levant.
— Oh ! non ! murmura Édouard, de nouveau tenaillé par l’angoisse. Et si on nous voit ? Si quelqu’un se souvient de nous.
— Ne vous inquiétez pas, le rassura Davit en faisant un signe de tête en direction de Mikhaïl. Tous les regards seront braqués vers Morpheus ! Personne ne fera attention à vous...
Il avait parlé à voix basse mais, de toute évidence, Mikhaïl l’avait entendu. Celui-ci se tourna vers les deux hommes et marcha vers eux avec une expression si glaciale qu’ils se figèrent aussitôt. Il déboucla sa ceinture et la retira des passants de son jean tout en continuant à avancer. Puis il passa l’extrémité dans la boucle pour faire un nœud coulant et fit deux tours autour de son poignet. Il fit mine de passer cette corde improvisée autour du cou d’Édouard mais, au dernier moment, il s’attaqua brusquement à Davit, qui n’eut pas le temps de faufiler ses doigts sous la ceinture. Il tira si fort que l’ancien rugbyman tomba en arrière par-dessus le bras de son fauteuil et fit vibrer le parquet ciré. Il le traîna derrière lui, tandis qu’il se débattait en essayant en vain d’écarter la ceinture, qui lui serrait la gorge et lui écrasait la trachée.
Édouard regarda avec horreur le visage enflé et cramoisi de Davit, qui n’avait cherché qu’à le rassurer. Hanté par le sentiment de devoir intervenir, il était paralysé par la peur. Davit frappa le sol en signe de soumission, mais Mikhaïl ne fléchit pas. Ses gestes étaient de plus en plus faibles ; ses yeux roulaient sous ses paupières. Enfin, Mikhaïl lâcha la ceinture avec mépris. Davit glissa un doigt sous le nœud coulant pour l’élargir, se tourna sur le côté et aspira de grandes bouffées d’air dans ses poumons presque vides.
Mikhaïl se baissa pour ramasser sa ceinture et la renfiler dans les passants de son jean. Puis il souleva Davit par les cheveux et le regarda dans les yeux.
— Vous avez de la chance que j’aie besoin de vous, lança-t-il.
— Je suis désolé, monsieur, souffla Davit, les joues mouillées de larmes. Je ne pensais pas à mal.
— Si vous me manquez de respect de nouveau...
— Je ne le ferai plus ! Je le jure !
— Ne m’interrompez pas ! tonna Mikhaïl. Je déteste être interrompu.
— Pardon, je suis vraiment désolé.
— Bien. Donc, si vous me manquez de respect de nouveau, je ne vous garderai pas en vie uniquement parce que j’ai besoin de vous. Est-ce clair ?
— Oui.
— Oui, qui ?
— Oui, monsieur.
Mikhaïl lâcha Davit et se redressa en posant sur lui un regard dédaigneux.
— Ressaisissez-vous, ordonna-t-il. Nous avons du travail.
II
Iain et Gaëlle prirent la direction du centre montagneux de l’île en laissant derrière eux l’agglomération de la côte septentrionale. De grandes éoliennes, alignées en haut d’une colline comme les statues de l’île de Pâques, semblaient manifester en silence en surplombant la mer. Au loin, Gaëlle admira les sommets enneigés des Montagnes blanches et, tout autour d’elle, les cultures en terrasses, les champs couverts de jeunes pousses et le reflet du soleil sur les parois rocheuses riches en mica. La route se rétrécit pour traverser villes et villages et la circulation ralentit. Cela faisait moins d’une heure qu’ils étaient partis lorsqu’ils franchirent un col et découvrirent la côte méridionale, tapissée de vilaines serres grises en polyéthylène semblant grouiller comme
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