Le secret d'Eleusis
attendait ostensiblement Gaëlle. Malgré tout, celle-ci apprécia cette randonnée improvisée. En altitude, l’air était frais. Et le paysage était absolument splendide. Penchés au-dessus d’un lac artificiel, des saules se miraient dans l’eau immobile. Sur les troncs, des lézards se prélassaient au soleil. Un peu plus loin, un sonnailler indiquait la présence d’un troupeau. Iain et Gaëlle atteignirent une clairière parsemée de ruches colorées et grouillantes d’abeilles, qui vrombissaient comme un appareil électrique défectueux.
— C’est du bon miel ? demanda Gaëlle pour obliger Iain à ralentir.
— Le meilleur ! déclara Iain en se retournant avant de revenir sur ses pas. Depuis toujours. On raconte même qu’Alexandre le Grand à été embaumé dans du miel crétois. Qu’en dites-vous ? Maintenant que vous avez retrouvé son corps ?
— Vous croyez que j’aurais dû le lécher ?
— Non ! s’exclama Iain en riant. Nous ne le saurons donc jamais. Dommage !
— Alexandre est mort à Babylone. Pourquoi les Babyloniens auraient-ils eu recours à du miel de Crète ?
— Comme vous le savez, à l’époque, les meilleurs embaumeurs venaient d’Égypte. Les généraux d’Alexandre ont donc fait appel à eux et ceux-ci ont apporté tout le matériel dont ils avaient besoin. Or, le miel égyptien ne valait pas grand-chose. Tout est affaire de saisons, vous comprenez. Les abeilles ne produisent pas du miel pour le plaisir. Si le pollen vient à manquer, les ruches meurent. Par conséquent, l’idéal, pour l’apiculture, c’est une terre où la floraison est permanente.
— Comme la Crète.
— Exactement, confirma Iain en montrant d’un geste circulaire les anémones, les iris, les orchidées, les asphodèles, les coquelicots et autres fleurs sauvages entourées d’une haie naturelle d’ajoncs et de gainiers, dont les boutons roses étaient prêts à éclore, à environ mille mètres au-dessus du niveau de la mer. La première boisson alcoolisée qui ait été fabriquée à Héraklion est l’hydromel. Dionysos est généralement considéré comme le dieu du Vin, mais il a probablement d’abord été le dieu de l’Hydromel. En réalité, les tout premiers mythes qui lui sont associés pourraient bien être des recettes de brassage.
— Vraiment ?
— Bien sûr, l’hydromel est dangereux lorsqu’il est mal dosé. Les Anciens devaient disposer d’un moyen de mémoriser et de transmettre les recettes. Il n’y a qu’à regarder la structure de certaines légendes et leur usage des nombres.
Ils traversèrent un bosquet. Le sol était encore tapissé de feuilles de l’année précédente, d’aiguilles et de pommes de pin, ainsi que de déjections d’animaux. Au-dessus du sentier, des araignées avaient tissé d’immenses toiles, dont les fils étincelants comme de l’argent affiné se prenaient dans les cheveux et les doigts de Gaëlle. De l’autre côté, le paysage était tout à fait différent. La pente était plus raide et hérissée de roches grises. Gaëlle eut de plus en plus de mal à suivre Iain, mieux entraîné et dont les chaussures étaient beaucoup plus adaptées à un terrain irrégulier et glissant. Dans ses tennis, elle ne cessait de déraper et ses chevilles furent bientôt couvertes d’écorchures et d’ecchymoses.
Elle sortit sa bouteille d’eau, réchauffée par le soleil, en but quelques gorgées et s’en versa un peu sur le front, avant de ramener ses cheveux en arrière. Maintenant qu’elle s’était arrêtée, elle sentait la raideur de ses mollets, un tiraillement indiquant qu’elle était au bord du claquage. Elle regarda avec envie un rocher habillé de mousse.
— Vous voulez souffler un peu ? demanda Iain.
— Ça va, mentit-elle, mais si vous avez besoin de repos...
Il rit avec un mélange d’amusement et de compréhension.
— Merci, dit-il en posant son sac à dos. Je crois que j’en ai bien besoin.
Chapitre 21
I
Un convoi de camions militaires passa sur la route principale, chargé de soldats, qui regardèrent dans la direction des Mercedes. Édouard jeta instinctivement un coup d’œil au fusil de Mikhaïl, mais celui-ci avait eu la prudence de le cacher sous son trench-coat. Ils attendirent que le dernier camion soit hors de vue, puis Mikhaïl se tourna vers Davit et le poussa du bout de l’index.
— Je croyais que vous aviez dit qu’ils étaient passés par là !
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