Le seigneur des Steppes
La vaste armée jin était enfin devant lui. La passe s’élargissait
à mesure qu’il progressait. De loin, il avait cru qu’elle se terminait par une
gigantesque porte mais, parvenu plus près, le khan remarqua que sur l’un des
côtés les Jin avaient dressé un arbre énorme retenu à son sommet par des cordes.
S’il tombait en travers de la passe, il couperait son armée en deux et c’en
serait fini pour lui. Il ralentit, arrêta sa jument devant un tas de cadavres
et poussa un cri rageur en s’attendant à recevoir une flèche ou à voir l’arbre
s’abattre. Appelant par leurs noms les guerriers qui le précédaient, il leur
ordonna de descendre de selle et leur montra l’énorme tronc qui menaçait de fracasser
tous ses espoirs. Ses hommes luttèrent pour parvenir aux cordes et les couper.
Au-delà de la passe, les lignes jin s’agitaient. Il se
passait quelque chose d’anormal et Gengis prit le risque de se dresser sur ses
étriers. Les derniers prisonniers arrachaient les treillis d’osier derrière
lesquels les soldats jin s’abritaient pendant qu’ils retendaient leur arbalète.
Retenant sa respiration, Gengis vit ses guerriers, dont les sabres dessinaient
des lignes étincelantes au soleil, rejoindre les prisonniers épuisés. Les arbalétriers
avaient cessé de tirer et faisaient de grands gestes implorants en direction de
l’arrière.
Ils étaient enfin à court de carreaux, comme Gengis l’avait
espéré. Le sol était noir de ces vilaines petites pointes de fer, tous les cadavres
en étaient criblés. Si l’arbre restait debout, les Mongols perceraient les
lignes ennemies. Le khan dégaina le sabre de son père. Derrière lui, ses hommes
levèrent leur lance ou leur longue lame, firent sauter leur cheval par-dessus
les morts. Les dernières barricades furent emportées. Gengis passa sous l’ombre
de l’arbre et, sans pouvoir s’arrêter, se retrouva au sein de l’armée de l’empereur.
Les cavaliers mongols déferlèrent sur les soldats jin et
pénétrèrent profondément dans leurs rangs. À mesure qu’ils progressaient, le
risque augmentait pour eux puisque les ennemis n’étaient plus seulement devant
mais aussi sur les côtés. Gengis frappait sur tout ce qui bougeait. Loin devant,
il vit des cavaliers jin pris de panique faire demi-tour et battre en retraite,
brisant leurs propres lignes. Tant de sabres tournoyaient autour de lui qu’il n’osait
pas se retourner pour jeter un coup d’œil à l’arbre. Ce fut seulement quand d’autres
cavaliers venus de l’arrière galopèrent vers les lignes jin qu’il reconnut ses
propres guerriers juchés sur des chevaux de l’empereur. Sentant la confusion et
la panique gagner l’armée jin, il poussa un cri rauque. Derrière lui, les
arbalétriers impuissants se faisaient éventrer par ses hommes qui s’ouvraient
un chemin de plus en plus profond. Cela n’aurait pas suffi sans la charge à
revers des hommes de Kachium, les meilleurs cavaliers du monde lancés dans les
rangs de leurs ennemis.
Une lame blessa sa jument à l’encolure, ouvrant une large
plaie qui aspergea de sang les visages des combattants. L’animal vacilla et
désarçonna son cavalier, écrasa deux hommes sous son poids dans sa chute.
Le khan continua à se battre à pied en espérant que ses
hommes avaient fait pencher la balance. Des Mongols de plus en plus nombreux
déboulaient de la passe et l’armée de Gengis se refermait comme un poing ganté
de fer sur les rangs jin.
Bouche bée, Zhu Zhong regardait les barbares enfoncer ses
premières lignes. Sa cavalerie mise en déroute avait reflué vers le gros de l’armée,
provoquant la panique dans les rangs. Il aurait encore pu ramener le calme, il
en était sûr, mais ces maudits Mongols avaient alors suivi sur les chevaux pris
à ses cavaliers. Ils montaient avec une habileté stupéfiante, parfaitement en
équilibre pour décocher au galop des volées de flèches qui ouvraient des
brèches. Puis les premiers rangs devant la passe avaient été emportés et une
nouvelle vague de Mongols avait balayé ses soldats comme s’ils n’étaient que
des enfants armés de sabres en bois.
Atterré, le général n’était plus capable de réfléchir. Ses
officiers attendaient ses ordres mais les événements s’étaient succédé si
rapidement qu’il en avait le vertige. Non, il pouvait encore se ressaisir. Plus
de la moitié de son armée était indemne et vingt autres régiments de
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