Le seigneur des Steppes
S’il échouait, il se suiciderait avant d’être torturé et
de révéler peut-être les secrets de son ordre. Les coins de sa bouche se
relevèrent en un sombre sourire : il n’échouerait pas. Les Mongols étaient
des gardiens de troupeaux, habiles à l’arc, certes, mais inoffensifs pour un
homme entraîné comme lui. Il y avait peu d’honneur à être choisi pour tuer un
khan de ces barbares puants, mais il n’en avait cure. L’honneur, il le
trouverait dans l’obéissance et dans une mort parfaite.
Il ne fut pas repéré avant de parvenir à proximité de la
grande tente posée sur un chariot dont la blancheur se détachait dans l’obscurité.
Il en fit le tour à distance en cherchant des gardes, n’en avisa que deux qui
attendaient la relève avec ennui. Des murailles de Yenking, il n’avait pas pu
voir si on les remplaçait souvent. Il devrait agir rapidement une fois qu’il
aurait apporté la mort dans ce lieu.
Parfaitement immobile, l’Assassin vit l’un des gardes
commencer à faire le tour de la yourte. L’homme ne se méfiait pas et quand il
sentit une présence dans les ténèbres, il était trop tard. Quelque chose s’enroula
autour de son cou et s’enfonça dans sa gorge, étouffant son cri. Une bouffée d’air
sanglante s’échappa cependant de ses poumons et l’autre garde, pas encore
alarmé, posa une question à voix basse. L’Assassin étendit sa première victime
sur le sol et se débarrassa de l’autre homme quand il tourna le coin du chariot.
Il le laissa là où il était tombé pour monter rapidement les marches. Il était
mince, elles grincèrent à peine sous son poids.
Dans le noir de la tente, il entendit la respiration lente d’un
homme profondément endormi. L’Assassin s’approcha du lit bas, s’accroupit. Il n’y
avait personne d’autre dans le lit. Il dégaina un couteau effilé dont il avait
noirci la lame avec de la suie mêlée d’huile pour qu’elle ne brille pas.
Il tendit le bras vers la source de la respiration, trouva
la bouche. Lorsque le dormeur sursauta, l’Assassin lui trancha prestement la
gorge. Le gémissement de la victime cessa aussitôt, son corps eut un spasme et
se figea. Le tueur attendit que le silence revienne, le nez envahi par la
puanteur des boyaux en train de se vider. Dans le noir, il ne distinguait pas
le visage de celui qu’il venait de tuer et tandis qu’il en suivait les contours
de ses doigts, il plissa le front : l’homme n’avait pas la même odeur que
les guerriers montant la garde dehors. D’une main tremblant légèrement, l’Assassin
explora la bouche ouverte, les yeux, monta vers les cheveux.
Il jura intérieurement en touchant la natte huilée d’un Jin.
Ce ne pouvait être qu’un esclave, un homme qui aurait mérité de mourir pendu
pour avoir aidé les Mongols en les servant. Assis sur ses talons, l’Assassin
réfléchit. Le khan se trouvait sans doute tout près. Il y avait plusieurs
autres tentes autour de la grande yourte, l’une d’elles abritait sûrement l’homme
qu’il cherchait. Il récita un mantra appris pendant sa formation, qui lui
apporta un calme immédiat. Il n’avait pas encore mérité le droit de mourir.
27
L’Assassin entendit respirer en pénétrant dans une autre
tente. Comme il y faisait totalement noir, il se concentra sur les bruits et
dénombra cinq dormeurs, dont aucun n’avait eu le sommeil troublé par sa
présence. Quatre avaient la respiration courte. Des enfants. Et le cinquième
souffle provenait probablement de leur mère, bien qu’il ne pût avoir de
certitude sans lumière. Une étincelle arrachée à un silex par une lame
suffirait, mais cela présentait un risque. S’ils se réveillaient, il ne
pourrait pas les tuer tous avant qu’ils crient. Il prit sa décision.
L’étincelle lui révéla cinq corps endormis, dont aucun homme
adulte, à en juger par leurs dimensions. Où donc était le khan ?
Il se retourna pour sortir, conscient que le temps jouait
contre lui. D’ici peu, les cadavres des gardes seraient découverts et le
silence de la nuit volerait en éclats.
L’un des enfants grogna dans son sommeil et son rythme
respiratoire changea. L’Assassin se figea, attendit que ce rythme redevienne
normal et se dirigea vers l’ouverture de la yourte.
Dehors, il laissa retomber derrière lui le rabat de feutre et
tourna lentement la tête pour choisir la yourte suivante. À l’exception de l’impudente
tente noire plantée face à la
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