Le seigneur des Steppes
de
m’adresser à un vrai imbécile.
Temüge se retourna en bâillant. La journée avait été longue
pour préparer le départ de si nombreux guerriers.
— Ma Tsin, je crois que je vais prendre un peu de mon
remède pour m’aider à trouver le sommeil.
L’espion aida Temüge à enfiler une tunique en soie. La
prétention du Mongol l’amusait mais ne dissipait pas ses préoccupations : le
rétablissement de Gengis et l’ordre de former les tumans avaient balayé le
pouvoir des petits khans. La perte n’était pas bien grande, aucun d’eux n’avait
d’influence réelle sur le camp. Changeant de tactique, il s’était débrouillé
pour remplacer le serviteur tué par l’Assassin. Son maître s’était révélé vain
et creux, mais Ma Tsin n’avait trouvé aucun moyen de le corrompre ni de
meilleur candidat à la trahison.
Il fallait faire démonter la tente noire sans que Gengis
soupçonne les souffrances de Yenking. L’espion se dit que le régent lui avait
assigné une tâche quasi impossible.
Perdu dans ses pensées, il chauffa l’arkhi, y ajouta une
cuillerée de la pâte noire du chamane. Profitant que son maître ne regardait
pas, il renifla le pot, crut reconnaître l’odeur. Les nobles des villes
fumaient de l’opium et étaient tout autant attachés à leur pipe que le frère du
khan semblait l’être à son remède.
— Il n’en reste presque plus, annonça Ma Tsin.
— Alors, il faudra que j’en demande au chamane.
— J’irai, maître. Tu ne dois pas être distrait de ton
travail par ces menus détails.
— Tu as raison, répondit Temüge, satisfait.
Il accepta la coupe et la but lentement, les yeux clos de
plaisir.
— Va le voir mais ne lui dis rien de ce que tu fais
pour moi. Kökötchu est un homme désagréable. Ne lui parle pas de ce que tu as
pu voir ou entendre dans cette yourte.
— Ce serait plus facile de lui acheter la pâte avec des
pièces d’or, argua l’espion.
Sans ouvrir les yeux, Temüge répondit :
— Il ne veut pas de ton or. Il ne s’intéresse qu’au
pouvoir.
Il vida le reste de la coupe, grimaça en avalant la lie
amère mais n’en renversa pas moins la tête pour avaler jusqu’à la dernière
goutte. L’idée du pot vide le perturbait : il aurait besoin de son remède
demain matin.
— Vas-y ce soir, Ma Tsin, et si tu peux, tâche de
découvrir comment il prépare cette pâte. J’ai essayé plusieurs fois de le lui
faire dire, mais il se refuse à révéler sa recette. Je crois qu’il prend
plaisir à garder une certaine emprise sur moi. Si tu découvres le secret de
cette pâte, je ne l’oublierai pas.
— À tes ordres, maître.
Cette nuit, l’espion gravirait de nouveau les murailles pour
faire son rapport mais il avait encore le temps de passer voir le chamane. Tout
ce qu’il apprenait pouvait se révéler utile, et pour le moment, il n’avait pas
accompli grand-chose dans le camp mongol tandis que Yenking mourait de faim.
30
Ce fut l’été le plus reposant que Gengis eût jamais connu. Sans
l’immuable présence de la ville dans son champ de vision, cela aurait même été
un moment paisible. Les efforts du khan pour retrouver force et vigueur furent
contrariés par une toux persistante qui le laissait pantelant et qui ne fit qu’empirer
avec l’hiver. Kökötchu venait le voir régulièrement dans sa yourte, lui
apportant des sirops au miel et aux herbes si amères que Gengis arrivait à
peine à les avaler. Ils ne lui procuraient qu’un soulagement temporaire et le
khan maigrissait de manière inquiétante, les os saillants sous une peau
jaunâtre.
Pendant tous les mois froids, Yenking sembla le narguer de
sa masse imposante. Presque un an s’était écoulé depuis la victoire de la
Gueule du Blaireau. Certains jours, Gengis aurait donné n’importe quoi pour
pouvoir retourner chez lui et recouvrer la santé dans l’air pur des collines.
Sombrant lui aussi dans l’apathie qui les affectait tous, il
leva à peine la tête quand le corps de son frère obscurcit l’ouverture de la
grande tente. L’expression de Kachium l’incita cependant à se redresser.
— Tu sembles avoir des nouvelles, dit le khan. J’espère
que c’est quelque chose d’important.
— Je crois que oui. Les éclaireurs venus du sud
rapportent qu’une armée se dirige vers Yenking pour lui porter secours. Cinquante
mille soldats et un immense troupeau de bêtes superbes.
— Khasar l’a sans doute
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