Le seigneur des Steppes
cette distance à cinq lieues seulement. Se sachant repérés, les
Jin avaient pressé l’allure mais il leur avait été impossible de rejoindre
Yenking avant de voir s’approcher le nuage de poussière soulevé par les Mongols.
Sung Li Sen, le commandant, siffla doucement en découvrant l’ennemi.
Il était à la tête de près de cinquante mille soldats venus de garnisons
situées au nord et à l’est de Kaifeng pour délivrer la ville impériale. La
colonne était lourde et lente, avec des files de chariots tirés par des bœufs
qui s’étiraient le long de la route. Les yeux plissés, il inspecta les carrés
de cavalerie qui gardaient ses flancs et fit signe à leurs officiers par-dessus
la tête des fantassins.
— Première position ! cria-t-il.
L’ordre fut répété dans les rangs. Les instructions étaient
parfaitement claires : ne pas arrêter avant d’atteindre Yenking. Si l’ennemi
attaquait, Sung Li Sen devrait combattre en avançant sans se retrouver bloqué
par des escarmouches. Il aurait préféré recevoir l’ordre d’écraser les barbares
et de ne se soucier de ravitailler Yenking qu’une fois qu’ils auraient été
exterminés.
Tout au long de la colonne, les soldats levèrent leurs
piques, armèrent des milliers d’arbalètes. Sung Li Sen distinguait mieux
maintenant les lignes des cavaliers mongols et il se redressa sur sa selle, conscient
que ses hommes attendaient de lui qu’il montre l’exemple. La plupart montaient
aussi loin au nord pour la première fois et tout ce qu’ils savaient de ces
sauvages, c’était qu’ils menaçaient la résidence de l’empereur, lequel avait
demandé l’aide de ses villes du Sud. La curiosité de Sung Li Sen s’accrut
lorsque les cavaliers mongols se séparèrent de part et d’autre d’une ligne
invisible, comme pour échapper au fer de lance de la colonne jin. Il sourit :
cela convenait parfaitement aux ordres qu’il avait reçus. La route de Yenking
était ouverte, il ne s’arrêterait pas.
Kachium retint ses troupes jusqu’au dernier moment avant de
se pencher dans le vent et de mettre son cheval au galop. Dressé sur ses
étriers, il aimait le tonnerre qui grondait autour de lui. Sur une distance
aussi longue, il eut d’abord l’impression d’avancer lentement puis tout s’accéléra.
Son cœur lui martelait la poitrine quand il rejoignit la colonne jin et tira sa
première flèche. Les carreaux des arbalètes bourdonnèrent, tombèrent dans l’herbe.
Chevauchant le long de cette file interminable, Kachium riait de se sentir
inaccessible et décochait trait après trait. Il était à peine nécessaire de viser
avec cinq mille hommes de chaque côté de la colonne pour la prendre en tenaille.
Les cavaliers jin ne parvinrent même pas à lancer leurs
montures au galop avant d’être abattus jusqu’au dernier. Kachium se réjouit de
constater qu’aucun cheval ennemi n’avait été touché : ses hommes avaient
tiré avec plus de soin encore après avoir vu que les cavaliers jin flanquant la
colonne étaient peu nombreux.
Une fois la cavalerie impériale laminée, Kachium choisit ses
cibles et visa tous les officiers qu’il put repérer. En soixante battements de
cœur, son tuman tira cent mille flèches. Malgré leurs armures laquées, des
milliers de Jin tombèrent, faisant trébucher ceux qui les suivaient.
Kachium entendit les bœufs meugler et, pris de panique, charger
les soldats jin, ouvrant une brèche dans la colonne avant de s’éloigner
lourdement. Il était parvenu au bout de la file et s’apprêtait à faire
demi-tour. Des carreaux presque à bout de course éraflèrent sa cuirasse. Après
des mois d’entraînement fastidieux, c’était merveilleux d’affronter l’ennemi et,
mieux encore, un ennemi incapable de l’atteindre. Il regretta de ne pas avoir
emporté un carquois de plus. Le premier était vide et il abattit un
porte-enseigne jin avec la première flèche du second.
Kachium cligna des yeux pour chasser les larmes que le vent
y avait fait monter. Il avait suffisamment éclairci la colonne pour voir ses
cinq mille autres cavaliers attaquant sur le flanc est. Eux aussi chevauchaient
impunément, tirant à volonté. Soixante battements de cœur de plus et cent mille
flèches. Les soldats jin ne pouvaient pas s’abriter, la colonne commençait à se
désintégrer. Seuls les hommes qui marchaient près des chariots avaient pu se
jeter dessous tandis que leurs camarades mouraient autour
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