Le seigneur des Steppes
poursuivre :
— À partir de ce jour, vous n’êtes plus des enfants. Pas
même toi, Ögödei. Si vous devez vous battre, fut-ce contre un ami, abattez
votre adversaire aussi vite et aussi durement que vous pourrez. Tuez-le ou
épargnez-le, mais méfiez-vous toujours d’un homme qui a une dette envers vous. Il
en éprouvera avant tout du ressentiment. Tout guerrier qui lève la main sur
vous doit savoir qu’il joue sa vie et qu’il la perdra. Si vous n’arrivez pas à
gagner tout de suite, vengez-vous plus tard, même si c’est la dernière chose
que vous ferez. Vous serez entourés d’hommes qui ne respectent que plus forts
qu’eux, plus durs qu’eux. Avant tout, ils respectent la réussite. Souvenez-vous-en.
La froideur de la leçon fit frissonner Ögödei et Gengis ne
sourit pas en le remarquant.
— Ne vous laissez jamais aller à la mollesse ou, un
jour, il se trouvera quelqu’un pour tout vous prendre. Écoutez ceux qui en
savent plus que vous, soyez le dernier à parler. On attendra que vous montriez
le chemin. Et prenez garde aux faibles qui viennent à vous à cause de votre nom.
Choisissez ceux qui vous suivront avec autant de soin que vos épouses. S’il est
une qualité qui m’a conduit à devenir khan, c’est celle-là. Je vois la
différence entre un bravache et un homme comme Süböteï, Jelme ou Khasar.
L’ombre d’un sourire méprisant apparut sur les lèvres de Djötchi
avant qu’il détourne les yeux et Gengis ne laissa pas voir son irritation.
— Une dernière chose, avant que vous partiez. Ne
gaspillez pas votre semence.
Djötchi rougit, Chatagai ouvrit la bouche toute grande. Seul
Ögödei parut dérouté.
— Les garçons qui jouent toutes les nuits avec leur
verge deviennent faibles, obsédés par les besoins de leur corps. Ne vous
touchez pas, traitez le désir comme n’importe quelle autre faiblesse. L’abstinence
vous rendra vigoureux. Vous aurez des femmes et des maîtresses le moment venu.
Dans le silence embarrassé qui suivit, Gengis défit son
sabre et son fourreau. Il n’avait pas prévu ce geste mais il lui semblait
indiqué et il voulait faire quelque chose dont ils se souviendraient.
— Prends, dit-il à Chatagai en déposant l’arme dans les
mains de son fils.
Le garçon, stupéfait mais ravi, faillit la laisser tomber. Il
la tint un moment, la tête de loup de la poignée reflétant le soleil, puis il
dégaina lentement la lame que son père portait depuis sa jeunesse. Ses deux
frères regardaient avec envie le métal brillant.
— Mon père Yesugei la portait le jour de sa mort. Son
père l’avait fait forger alors que les Loups étaient les ennemis de toutes les
autres tribus. Elle a pris des vies, elle a vu naître un peuple. Veille à ne
pas la déshonorer.
Profondément ému, Chatagai inclina la tête.
— Oui, seigneur.
Gengis ne regarda pas le visage blême de Djötchi.
— Allez, maintenant. Lorsque vous aurez rejoint vos
généraux, je sonnerai du cor. Nous nous reverrons quand vous serez des hommes
et que nous pourrons nous traiter en égaux.
— J’attends ce jour avec impatience, père, dit soudain Djötchi.
Gengis leva vers lui ses yeux jaunes mais garda le silence. Les
trois garçons n’échangèrent pas un mot en s’éloignant au galop sur le sol dur
et ne se retournèrent pas une seule fois. Resté seul avec Kachium, le khan
sentit sur lui le regard de son frère.
— Pourquoi n’as-tu pas donné le sabre à Djötchi ?
— À un bâtard de Tatar ? répliqua Gengis. Je vois
son père me regarder chaque fois qu’il est devant moi.
Kachium secoua la tête, attristé que son frère soit aveugle
en cette matière alors qu’il était si clairvoyant pour tout le reste.
— Nous sommes une étrange famille, soupira-t-il. Si tu
nous laisses tranquilles, nous devenons mous et faibles. Si tu nous défies et
nous incites à te haïr, nous nous endurcissons.
Gengis lui jeta un regard perplexe.
— Si tu avais voulu affaiblir Djötchi, tu lui aurais
remis le sabre, expliqua Kachium. Maintenant, il verra en toi un ennemi et il
deviendra de fer, comme tu l’as dit. Était-ce bien ton intention ?
Sidéré, Gengis cligna des yeux et ne trouva rien à répondre.
— Tu leur as donné de sages conseils, frère, reprit
Kachium. Surtout concernant leur semence. Apparemment, cela n’a fait aucun mal
à Khasar.
Gengis eut un rire en tendant la main pour réclamer le cor
de Kachium. Il se leva, souffla une longue
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