Le seigneur des Steppes
mon
peuple.
Gengis le fixa en se grattant la joue. Puis, se tournant
vers son frère :
— Il a du courage et de l’intelligence, Khasar. Confie-lui
dix hommes pour l’assaut contre la muraille.
Les yeux jaunes revinrent à Süböteï, figé de stupeur.
— Je verrai comment tu mènes au combat des guerriers
plus expérimentés que toi.
Pour éprouver un peu le jeune homme, Gengis ajouta une pique :
— Si tu leur fais défaut, tu ne vivras pas au-delà du
coucher du soleil de cette journée.
En réponse, Süböteï s’inclina, l’enthousiasme à peine entamé
par la mise en garde du khan.
— Fais amener mon cheval, Khasar, ordonna Gengis. Je
veux voir ce mur et ces archers qui croient pouvoir se dresser sur mon chemin.
5
Les défenseurs xixia n’avaient aucune idée du nombre de
Mongols qui avaient traversé le désert pour les attaquer. Si Gengis s’était
avancé presque à portée de leurs arcs avec une douzaine d’officiers, le gros de
ses troupes était resté massé derrière le coude de la gorge. Finalement, il
avait décidé de ne pas faire escalader les rochers par deux de ses hommes. Pour
que le plan fonctionne, les défenseurs devaient être convaincus d’avoir affaire
à des gardiens de troupeaux un peu frustes. Poster des guetteurs sur les pics
révélerait à tout le moins un talent tactique et rendrait les soldats méfiants.
Gengis se mordilla la lèvre inférieure en levant les yeux vers le fort. Des
archers s’étaient massés en haut de la muraille et, de temps à autre, ils
tiraient une flèche pour estimer la portée de leurs arcs dans l’éventualité d’une
attaque. Gengis regarda la dernière se ficher dans le sol à douze pas de lui et
cracha avec mépris en direction des archers ennemis : ses hommes tiraient
plus loin.
L’air était lourd et immobile dans cette gorge où ne
soufflait aucun vent. La chaleur du désert se faisait plus forte à mesure que
le soleil montait dans le ciel, réduisant leurs ombres. Gengis posa la main sur
la poignée du sabre de son père pour se porter chance, fit faire demi-tour à
son cheval et retourna à l’endroit où cent guerriers attendaient.
Ils gardaient le silence, comme il le leur avait ordonné, mais
leur ardeur était visible sur leurs jeunes visages. Comme tous les Mongols, berner
l’ennemi leur plaisait plus encore que le submerger par la force.
— La palissade est assemblée, dit Khasar. C’est une
protection rudimentaire, mais elle leur permettra d’avancer jusqu’au pied de la
muraille. J’ai distribué des marteaux de forgeron pour qu’ils éprouvent la
solidité de la porte. Qui sait, ils réussiront peut-être à entrer.
— Que cent autres guerriers soient prêts à charger pour
les soutenir au cas où ils y parviendraient, ordonna Gengis.
Il se tourna vers Kachium, qui se tenait à proximité pour
veiller aux derniers détails.
— Je mettrai Arslan à la tête du second groupe, dit
Kachium.
C’était un bon choix et Gengis approuva de la tête. Le
forgeron était capable d’exécuter les ordres sous un déluge de flèches.
Gengis n’avait aucune idée de ce qu’il y avait au-delà des
rochers noirs ni du nombre d’hommes qui gardaient la passe. Aucune importance. Dans
moins de deux jours, les dernières outres d’eau seraient vides et les hommes
commenceraient à mourir, victimes de la soif et de ses ambitions. Le fort
devait tomber.
Un grand nombre de guerriers avaient des sabres et des
javelines magnifiques qu’ils abandonneraient sur le sable pour attirer les
défenseurs dehors. Tous portaient la meilleure armure, inspirée d’un modèle jin.
Avec la chaleur, les languettes de fer étaient brûlantes et les tuniques en
soie furent bientôt trempées de sueur. Ils burent de longues gorgées d’eau aux
dernières outres, Gengis ne voulant pas rationner des hommes qui allaient
risquer leur vie.
— Nous avons fait tout ce que nous pouvions, frère, dit
Khasar, le tirant de ses pensées.
Les deux hommes regardèrent Kökötchu passer parmi les
guerriers et les asperger d’une eau précieuse en psalmodiant une incantation. Gengis
imagina Temüge faisant plus tard la même chose et n’y trouva rien de glorieux.
— Je devrais être parmi les attaquants, murmura-t-il.
Kachium l’entendit et secoua la tête.
— Tu ne peux être vu en train de fuir. Si le plan
échoue, ce sera la déroute. Tu ne peux être pris pour un couard par tous ceux
qui ne connaissent pas la nature
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