Le seigneur des Steppes
expérience.
Gengis s’était d’abord dit qu’ils rechigneraient à tenir ce
nouveau rôle. Les Mongols n’avaient jamais fait de bons fantassins et pourtant,
quand Lian les avait initiés au maniement des machines, un grand nombre avaient
compris le jeu des forces et des poids. Gengis avait montré sa satisfaction d’avoir
des hommes capables d’abattre des villes et ils se tenaient orgueilleusement
sous son regard.
Le khan sourit quand un pan de mur tomba vers l’extérieur. Süböteï
avait un millier de guerriers sous ses ordres devant Linhe. Le gros de l’armée
mongole avait formé des colonnes en face de chacune des quatre portes de la
ville et attendait de se ruer à l’intérieur au premier signe d’ouverture. Süböteï
marchait à grands pas d’une catapulte à l’autre pour diriger les coups. Tout
était nouveau pour ces hommes et Gengis était fier de leur faculté d’adaptation.
Si seulement son père avait vécu pour voir ça !
Süböteï ordonna de faire avancer les palissades en bois pour
protéger ses guerriers quand ils firent tomber les blocs de pierre détachés
avec de longues piques crochues. Les archers ennemis ne pouvaient tirer sans s’exposer
et lorsqu’ils prenaient ce risque, leurs flèches s’enfonçaient dans le bois.
Un groupe de défenseurs se montra pour renverser le contenu
d’un chaudron en fer par-dessus la muraille. Plusieurs d’entre eux tombèrent
sous les flèches mongoles mais d’autres prirent leur place. Gengis fronça les
sourcils quand ils réussirent à arroser d’un liquide noir une dizaine de
piquiers, qui s’abritèrent sous le bouclier en bois. Peu après, les Jin
lancèrent des torches et des flammes jaillirent, couvrant de leur ronflement
les cris des guerriers, dont les poumons brûlaient.
Les piquiers en feu coururent en titubant vers d’autres
groupes, perturbant le rythme de l’attaque. Dans la confusion, les archers jin
abattirent tous ceux qui s’aventuraient à découvert.
Süböteï donna de nouveaux ordres et les guerriers soutenant
la palissade reculèrent lentement, laissant les silhouettes enflammées se
tordre jusqu’à la mort. Gengis eut un hochement de tête approbateur quand les
catapultes se remirent à siffler. Il avait entendu parler de cette huile qui
brûlait mais ne l’avait jamais vue utilisée de cette façon. Elle s’enflammait
plus facilement que la graisse de mouton des lampes mongoles et il décida de s’en
procurer. Il en resterait peut-être dans Linhe lorsque la ville tomberait.
Des cadavres noirs et fumants jonchaient à présent le sol au
pied des murailles de la ville d’où montaient quelques cris moqueurs. Gengis
attendit avec une impatience croissante que Süböteï perce une brèche. Il ne
ferait plus clair très longtemps et au coucher du soleil Süböteï devrait
ordonner à ses hommes de battre en retraite pour la nuit.
Gengis se demanda combien d’hommes il avait perdus dans l’assaut.
C’était sans importance. Süböteï commandait les moins expérimentés de ses
guerriers, ceux qu’il fallait endurcir à la guerre. Au cours des deux années
passées dans les monts du Khenti, huit mille jeunes garçons avaient accédé à l’âge
d’homme et étaient venus grossir les rangs de l’armée. La plupart d’entre eux
étaient sous les ordres de Süböteï et se donnaient le nom de Jeunes Loups pour
faire honneur à Gengis. Süböteï avait presque supplié le khan de placer ses
hommes à la pointe de l’assaut, demande inutile puisque Gengis avait déjà
décidé que ces jeunes guerriers mèneraient l’attaque. Il fallait les aguerrir, eux
et leur général.
Entendant des cris de blessés, le khan tapota inconsciemment
de son bracelet de force les plaques laquées de sa cuisse droite. Deux autres
pans de mur tombèrent. Une tourelle s’effondra, déversant une nichée d’ennemis
quasiment aux pieds des guerriers de Süböteï. La muraille de Linhe ressemblait
maintenant à une bouche édentée et Gengis sut que ce ne serait plus long. Ses
hommes firent avancer les échelles roulantes et les équipes des catapultes se
redressèrent enfin, épuisées et triomphantes.
L’excitation monta autour du khan lorsque les Jeunes Loups
déferlèrent, taches sombres sur la pierre gris clair. Ils étaient couverts par
les meilleurs archers de Gengis, des hommes capables de transpercer un œuf à
cent pas. Les soldats jin qui se montraient en haut des murs retombaient en
arrière,
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