Le Serpent de feu
rails, vérifiant que la pellicule était bien chargée dans les magasins et assurant les ultimes réglages des objectifs. Plus près de nous, des nuées de techniciens s’agitaient comme des abeilles dans une ruche.
Au milieu du brouhaha qui s’élevait jusque dans les cintres, une voix, dont je ne parvenais pas à identifier le propriétaire, tentait de faire régner un semblant de discipline.
Peu après que nous eûmes franchi le seuil du studio, un avorton d’à peine quatre pieds et demi de haut, un béret enfoncé jusqu’aux sourcils, sauta sur le policier en uniforme et s’agrippa à sa manche tel un roquet hystérique.
— C’est pas trop tôt. Ça fait vingt minutes que Mr Reiziger t’attend. Qu’est-ce que tu fabriquais, nom de Dieu ? Ils en mettent un temps au maquillage aujourd’hui.
— Veuillez lâcher cet homme, je vous prie, s’interposa Staiton, et indiquez-moi plutôt où l’on a des chances de trouver Cecily Teynham !
— Hé, papy ! Puisque tu le proposes si gentiment, va donc la prévenir dans sa loge que l’autre débile qui joue le flic est arrivé ! Il ne manque plus que les potiches qui font les voyageurs, et on va enfin pouvoir tourner.
À ce moment, les portes battirent avec fracas, et un flot de figurants, des valises et des sacs de voyage à la main, se déversa dans le studio, entraînant avec lui le freluquet et le constable .
— Où se trouve la loge de Miss Teynham ? fit Staiton à une armoire à glace affairée à enrouler un énorme câble électrique autour de son épaule.
Le machiniste se contenta d’émettre un vague grognement en désignant l’entrée d’un couloir de l’autre côté du plateau.
— Venez, Singleton ! Ce benêt de Royston saura bien se débrouiller seul.
Lorsque nous eûmes gagné le corridor, nous nous enquîmes à nouveau de l’endroit où demeurait l’actrice. Une demoiselle pressée, les bras débordant d’accessoires, nous indiqua sa loge d’un signe de tête.
Dès le premier coup frappé, une voix s’éleva derrière la porte :
— Entrez !
Je suivis Staiton à l’intérieur d’une pièce mal éclairée. Bien que je m’attendais à trouver Cecily Teynham entourée d’un véritable état-major – secrétaire, maquilleur, habilleuse –, l’actrice, qui nous tournait le dos, se tenait seule, installée devant sa table de toilette. Elle était vêtue d’une longue robe en velours noir. En reconnaissant le policier dans le reflet du miroir, la jeune femme fit aussitôt pivoter son siège dans notre direction.
— Inspecteur Staiton ? Quelle surprise de vous voir ici !
— Cela n’a pas été facile, Miss Teynham. J’ai perdu dans la bataille l’agent en uniforme qui m’accompagnait. Un jeune microbe me l’a pour ainsi dire kidnappé en le prenant pour un figurant.
— Humboldt ! C’est l’âme damnée de Reiziger, le metteur en scène. Vous avez eu de la chance, il ne laisse entrer personne dans le studio. Surtout en ce moment. On a pris du retard sur le plan de travail, et la production souhaiterait que le tournage soit achevé pour mardi, veille du couronnement.
Sur la coiffeuse étaient disposées deux photographies la représentant en compagnie d’un homme à la mise distinguée et la figure affable, sans nul doute Bertram Auber-Jones.
De l’autre côté de la pièce, appuyé contre un mur tapissé d’affiches de Gainsborough Pictures, un vieux sofa encombré de coussins était flanqué de deux penderies chargées d’une multitude de costumes de scène et de toilettes bigarrées.
Parmi les affiches, je reconnus celle du film Cerveau de rechange , que j’avais été voir au Rialto à l’automne précédent et où l’on pouvait admirer le grand Boris Karloff en personne.
— Nous disposons de peu de temps, enchaîna Staiton. J’ai cru comprendre que vous étiez attendue avec impatience sur le plateau. Mais avant de vous laisser vaquer à vos occupations, laissez-moi vous présenter Andrew Singleton, détective consultant, qui me donne un coup de main sur cette enquête.
— Je connais votre réputation, Mr Singleton, et vous sais infiniment gré d’apporter votre concours à la police.
Je m’avançai d’un pas pour mieux l’observer dans le halo tamisé des lampes de la coiffeuse. Elle s’était penchée vers l’une des photographies sur la tablette et effleurait du doigt la silhouette d’Auber-Jones.
— Si vous saviez comme son absence me
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