Le Serpent de feu
l’inconnu pénétrer à cette adresse ?
Évidemment, s’il s’agissait d’un traquenard, il aurait été plus avisé d’attendre que James m’ait rejoint. D’autant que, en l’état, il avait peu de chance de pouvoir retrouver ma trace.
Il me vint alors une idée. J’attrapai dans ma poche mon fidèle carnet de notes et en arrachai une page noircie de mon écriture fine et nerveuse. Puis, ayant ramassé un caillou d’une grosseur et d’un poids adéquats, je l’enveloppai soigneusement dans la feuille, avant de déposer le tout bien en vue au milieu de la chaussée. Ainsi lesté, mon jalon ne risquait pas d’être emporté par le vent.
Tel un moderne Petit Poucet, je répétai plusieurs fois l’opération, du coin de la ruelle jusqu’aux abords de la boutique et, près de la porte, je jetai une dernière boule de papier.
Enfin, le revolver dans la poche, le canon pointé devant moi à travers l’étoffe, je me risquai à tourner la poignée.
Après que le battant se fut ouvert dans un sinistre grincement, je pointai le nez à l’intérieur. Je m’attendais à découvrir un lieu totalement sombre, mais une chandelle placée sur un comptoir, tout au fond, délivrait une apparence de lumière. Un mélange de sciure et de paille était répandu sur le sol. Je venais d’avancer de deux pas supplémentaires quand mes cheveux se dressèrent sur la tête en devinant une ombre monstrueuse qui glissait le long d’un mur.
— Vous, ami de Smith ! émit une voix gutturale et sifflante.
Je tournai la tête vers la forme qui avait parlé. C’était un Chinois obèse, la peau du visage tavelée de cicatrices d’acné, qui venait d’entrer dans la boutique par un passage dérobé. Il était engoncé dans une tunique orange trop serrée et me considérait obligeamment de sa mine boursouflée. Au-dessus de sa lèvre supérieure, quelques longs poils de chat tenaient lieu de moustache.
— Vous, ami de John Smith, donc vous, ami de Ji Hao ! Vous, le bienvenu ! ronronna le gros homme.
La situation était incompréhensible. Le type me prenait forcément pour quelqu’un d’autre.
J’avais lâché la crosse du revolver et sortis ma main hors de la poche, mais j’hésitai encore sur la manière dont il convenait d’agir.
Le Chinois traversa la pièce emplie de caisses et de sacs de marchandises en toile de jute, et ouvrit une petite porte, dissimulée derrière un rideau.
Voyant que je ne bougeais pas, le poussah m’adressa un signe de la main pour m’inviter à le rejoindre.
Quand je fus à sa hauteur, il s’écarta pour me laisser passer, et je dus baisser la tête pour franchir le seuil. De l’autre côté se trouvait un escalier qui devait conduire à l’extérieur, car un fort courant d’air s’y engouffrait. Au fond, on discernait une faible clarté.
— Vous descendre et suivre chemin !
Je commençai à m’exécuter, mais, constatant que mon introducteur demeurait sur le palier, je fis mine de vouloir remonter.
— Vous descendre ! répéta-t-il avec déférence.
Prenant mon courage à deux mains, je continuai et atteignis le bas de l’escalier. Sur la dernière marche était placée une lanterne qui éclairait une courette au sol terreux, entourée de bâtiments délabrés. Tout en haut, dans le ciel, les étoiles brillaient d’un vif éclat.
Vis-à-vis de celui que je venais d’emprunter, un escalier menait à l’arrière d’un des édifices. Sur le premier degré, comme pour baliser le chemin, était disposée une autre lanterne sourde, similaire à celle qui se trouvait à mes pieds.
Je traversai la cour et montai lentement les marches jusqu’à une lourde porte que je poussai.
Un bourdonnement de conversations, dans un mélange de langues et de dictons du monde entier, tinta aussitôt à mes oreilles. Je me retrouvai dans une salle basse de plafond – à moins que ce ne fût qu’une impression due à l’ampleur du nuage de tabac qui s’était formé –, où mon irruption fut accueilli par l’indifférence la plus complète. Des grappes d’individus, dont l’activité principale était de boire, de fumer et de jouer aux cartes ou aux dés, étaient agglutinés autour des tables. Quelques-uns se querellaient, parfois violemment. D’autres, une fille de joie dans les bras, vautrés sur des banquettes recouvertes de peluche et de coussins de cheviotte, se consacraient à des distractions plus lascives.
Les Orientaux étaient majoritaires, Chinois
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