Le soleil d'Austerlitz
défendre ma fortune, mon génie et mes gardes.
Il traverse la salle d’un pas rapide, invite Cambacérès à le suivre dans son cabinet de travail.
Il prend sur la table une lettre de Desmarets. Le responsable de la Police politique lui rappelle que cinq « brigands » bourboniens sont emprisonnés au Temple, et demande ce que doit être le sort de ces individus – Picot, Lebourgeois, Ploger et, d’abord Desol de Grisolles et Quérelle, ces deux derniers ayant été liés à Georges Cadoudal.
Napoléon lit la lettre. Il veut, dit-il, qu’on traduise d’urgence ces cinq hommes devant une commission militaire. Qu’on les juge. Qu’on les condamne. « Et ils parleront avant de se laisser fusiller », conclut-il. Puis il ajoute :
— Je sens l’air plein de poignards.
Sixième partie
Je suis la Révolution française et je la soutiendrai
Janvier – 28 juin 1804
22.
Napoléon avance lentement sur le front des troupes, à moins d’un mètre de la première rangée de soldats. Il s’arrête tous les trois ou quatre pas. Il regarde l’homme qui est en face de lui dans les yeux. Il reconnaît celui-là. Il interroge celui-ci. Égypte, Italie ? Il dit quelques mots. Il prend son temps.
Il se sent invulnérable. Et pourtant il suffirait d’un seul de ces hommes pour que tout s’arrête. Il imagine le coup de poignard d’un soldat ou d’un officier sorti des rangs et se précipitant, l’arme levée. On le frapperait là, à la gorge. Ou bien, d’une fenêtre du palais, on tirerait. Il fait une belle cible, dans la cour des Tuileries.
Il aperçoit, à la fenêtre du palais qui est proche de celle de son cabinet de travail, le conseiller d’État Réal. Réal a peur. Réal lui a conseillé de ne pas participer à la revue des troupes. Napoléon n’a même pas répondu. Il savait avant même que Réal parle, rapporte les aveux de ce royaliste, Quérelle, avant d’être fusillé, – les hommes sont ce qu’ils sont –, qu’on avait lancé les chiens contre lui. Combien de brigands pour le traquer ? Combien d’argent pour réussir enfin à tuer le Premier consul ?
Tous les rapports qui depuis plusieurs semaines arrivent d’Angleterre lui ont fait penser cela. Georges Cadoudal, disent les espions, vit à Londres dans l’opulence, réunissant des chouans. Autour du comte d’Artois et du duc de Berry, on ne parle que d’expéditions en France. Ces MM. de Polignac, Armand et Jules s’en vont proclamer partout qu’ils vont défier le Premier consul Buonaparte.
C’est si simple, pour l’Angleterre, de payer des assassins, alors qu’il est impossible pour elle de battre la Grande Armée et qu’elle craint l’invasion.
Si je meurs, que reste-t-il de mon oeuvre ? Sans moi, tout peut s’effondrer. Sans moi, l’Angleterre est victorieuse .
On doit donc me tuer .
C’est la bataille qu’il faut affronter avant de livrer le combat des armées .
Napoléon s’est à nouveau arrêté de marcher dans la cour des Tuileries. Le vent tourbillonne. Il est glacial. Les visages sont rouges. Le froid s’insinue sous la redingote. Les doigts, malgré les gants, sont gourds. Mais il doit s’attarder, s’exposer aux exécutions.
Le royaliste Quérelle a parlé parce qu’il avait peur de mourir, qu’il tremblait à l’idée d’affronter les fusils du peloton d’exécution.
Je ne crains que la défaite .
Vais-je trembler pour une poignée de brigands ?
Il quitte la cour des Tuileries lentement.
Réal s’avance à sa rencontre. Il a le visage en sueur. Tout en marchant, Napoléon lui annonce qu’à partir d’aujourd’hui, ce 29 janvier 1804, Réal est chargé « sous la direction du Grand Juge, de l’instruction et de la suite de toutes les affaires relatives à la tranquillité de la République ».
Napoléon, de l’avant-bras, écarte les papiers qui se trouvent sur la table placée au centre de son cabinet de travail.
Plus rien ne compte à partir d’aujourd’hui que cette bataille. Non pour défendre sa vie. Le destin y pourvoira. Et il sent en lui tant de force et d’énergie, qu’il n’a pas d’inquiétude. On ne réussira pas à le tuer. Mais il faut extirper le mal, tout le mal. Trancher, car les conspirations sont une gangrène.
Cadoudal, selon Quérelle, a donc débarqué en France, il serait à Paris, avec une bande de chouans, pour s’emparer de ma personne, me tuer au terme d’une embuscade ?
Il faut que Quérelle dise tout. Qu’on retrouve, à partir de
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