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Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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perdit
leur conversation :
    — Ma mère... Notre sœur a été enherbée avec de l’aconit.
Elle va mourir de suffocation. Malheureusement, le privilège de l’inconscience
lui sera refusé. Il ne nous reste rien à tenter, si ce n’est l’entourer et prier
pour elle.
    Adélaïde Condeau luttait de toutes ses forces contre la
paralysie qui l’immobilisait, remontait progressivement jusqu’à ses joues,
coinçait sa voix au fond de sa gorge. Elle tentait de prononcer un mot, un seul :
pain.
    Pendant que les moniales s’agenouillaient autour d’elle,
pendant que l’absolution lui était dispensée, elle ressassait dans sa tête une
syllabe unique et sacrée : pain.
    Lorsque le souffle se refusa à elle, lorsqu’elle ouvrit
grand la bouche pour aspirer l’air qui fuyait, elle crut enfin pouvoir l’expulser.
Le mot.
    Sa tête retomba dans les bras d’Éleusie.

 
Château de Larnay, Perche, octobre 1304
    Mathilde de Souarcy se pavanait dans une ravissante robe
azur ourlée de vair et brodée aussi richement que celle d’une princesse. Elle s’inventait
une cour de damoiseaux et de damoiselles, plongeant en révérence devant les
uns, aguichant d’une moue les autres.
    Se jugeant désormais assez femme, elle avait exigé que sa
servante relevât ses cheveux en tresses autour de sa tête.
    Elle gloussa de délice. Elle s’était tant ennuyée entre les
murs austères de l’abbaye des Clairets, où sa mère avait jugé bon de la
conduire lorsque le début de son délai de grâce lui avait été signifié par ce
seigneur inquisiteur venu d’Alençon. Quelle plaie de devoir se lever si tôt
pour rejoindre l’église, d’être contrainte d’aider au repli des lits ou au
rangement du linge au prétexte d’amour de son prochain ! Il ne manquait
pourtant pas de petites servantes laïques pour décharger des corvées les filles
bien nées. Durant les quelques jours qu’avait duré ce qu’elle considérait comme
un scandaleux emprisonnement, Mathilde avait redouté plus que tout de devoir
finir ses jours dans la tristesse et l’affairement sans fin des Clairets. C’était
compter sans la tendresse que lui portait son bel oncle Eudes. Dieu qu’elle
avait été soulagée lorsqu’elle avait appris son arrivée à l’abbaye. Il avait
exigé de l’abbesse qu’elle lui remît sa nièce sur l’instant. Éleusie de
Beaufort n’avait pu résister très longtemps à cette mise en demeure. Eudes
était l’oncle de sang de Mathilde, son tuteur de droit en l’absence de sa mère.
En vérité, quelles magnifiques semaines elle venait de passer grâce à la
générosité de son oncle. La chambre qu’il lui avait offerte, celle de feue
madame Apolline, était spacieuse et fort bien chauffée grâce à une grande
cheminée dont, comble de raffinement, chaque flanc s’ouvrait d’une petite
lucarne permettant à la chaleur de se répandre plus efficacement. Des
tapisseries de couleurs vives, représentant des scènes de dame à sa toilette,
étaient suspendues aux murs de pierres brutes, préservant les occupants de l’humidité.
Un grand lit l’accueillait chaque soir, et elle était un peu troublée d’imaginer
les émois qu’il avait abrités jadis, car nul doute que madame Apolline y avait
reçu son mari. Que se passait-il donc au creux de ces draps ? Elle avait
cherché, posant parfois des questions à Adeline ou à Mabile. Ces deux sottes
avaient pouffé sans jamais l’éclairer. Une frêle table de parure aux pieds
sculptés soutenait un miroir. Deux grands coffres à vêtements flanquaient la
cheminée. Ils avaient d’abord protégé ses hardes de pauvresse, jusqu’à l’agacement
de son oncle, qui avait exigé qu’on les brûlât et qu’on habillât sa nièce comme
son rang le méritait. Sans doute certains des magnifiques atours qu’il lui
avait offerts appartenaient-ils à feue sa tante Apolline. Après tout, elle ne
pouvait en vouloir à son oncle de les avoir fait mettre à taille. C’eut été un
impardonnable gâchis que de les jeter. D’autant que la pauvre Apolline manquait
d’élégance naturelle. De multiples grossesses n’avaient pas arrangé son
affligeante patauderie. Elle avait toujours semblé empêtrée dans ses robes et
ses voiles, se tenant à deux mains les reins, que ses gros ventres fatiguaient,
à la manière d’une manante. En revanche, Mathilde faisait virevolter le lin et
la soie comme de charmants nuages.
    Une ombre tempéra sa bonne humeur. Sa mère

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