Le souffle de la rose
découvrit la petite clef plaquée
sous la plante du pied de Blanche. Le métal avait laissé sa marque dans la
chair pâle.
— Elle doit vous occasionner une gêne supplémentaire,
commenta Annelette.
Décidée à marquer un point, Blanche asséna :
— Certes, mais ainsi je la sens en permanence et suis
certaine de ne pas l’égarer. Que croyez-vous ? Que vous êtes la seule
douée de bon sens dans cette abbaye ?
L’apothicaire réprima un sourire, malvenu en ces heures de
danger, et avoua :
— Si je l’avais cru, vous me prouveriez à l’instant que
j’ai été bien sotte.
Blanche ponctua la sortie de sa sœur d’un petit hochement de
tête satisfait avant de déclarer :
— Cette honnêteté vous honore. (Une soudaine tristesse
noya l’éphémère contentement de la vieille femme.) Cependant, vous avez raison
sur un point. Je suis si âgée et prompte aux endormissements. Non, non, je ne
vous tiens pas rigueur des commentaires que vous avez pu faire sur mon état de
vieillerie. (Se tournant vers l’abbesse, la doyenne acheva :) Ma mère,
vous connaissez l’amitié, l’estime et la tendresse que j’éprouve pour vous. Je
vous le demande comme un bienfait : déchargez-moi de ce poids, de cette
clef. Si j’ai trouvé cette inconfortable cachette, c’est qu’il m’a semblé
parfois, au cours de mes repos trop fréquents, que l’on frôlait ma gorge ou ma
ceinture. Peut-être ne s’agissait-il que de l’une de ces sensations comme il en
survient au cours des rêves. Toutefois, je l’ai prise assez au sérieux pour
opter pour... mon soulier.
— Et vous avez fort bien fait, Blanche, la complimenta
Éleusie. Confions donc cette clef à notre apothicaire. Nous annoncerons
publiquement que vous en êtes déchargée à votre demande, sans préciser l’identité
de sa nouvelle gardienne. Ainsi...
— Ainsi on ne me tuera pas pour la subtiliser, acheva
la vieille dame à sa place.
— Votre idée était si judicieuse, ma sœur, que je vais
la mettre à profit. Quel meilleur endroit qu’une chaussure, mentit Annelette.
Elle avait pensé à une autre cachette. Elle s’en voulut de
sa duplicité vis-à-vis de cette pauvre Blanche, mais elle persistait à penser
que le grand âge affaiblissait les facultés de la sœur doyenne, et redoutait
que celle-ci se laisse aller à de dangereux bavardages. Nul, hormis l’abbesse
et elle-même, ne connaîtrait l’endroit où elle comptait dissimuler l’objet.
Elles quittèrent peu après Blanche de Blinot, certaines que
son sommeil serait plus léger.
Une fois de retour dans le bureau de l’abbesse, celle-ci
déclara :
— J’ai besoin de votre clef pour quelques minutes. Je
vais également récupérer celle de notre cellérière afin de m’assurer que mon
sceau se trouve toujours dans le coffre. Je vous reverrai ensuite, Annelette.
Celle-ci comprit le congé et ne s’en offusqua pas. Le coffre
contenait sans doute des documents qui ne la concernaient pas. De surcroît,
elle devait mettre au point son petit tour, ainsi qu’elle l’avait nommé.
Éleusie de Beaufort retrouva Berthe de Marchiennes, la sœur
cellérière, devant la grange à foin. Elle surveillait le comptage des bottes
que quatre serfs empilaient en pyramide. Ce fut d’abord le visage de Berthe qui
la surprit. Il ne s’y lisait nulle trace de chagrin, ni même d’émotion. Éleusie
fit taire l’animosité qu’elle sentait monter en elle. Berthe n’avait jamais été
proche d’Adélaïde, ni d’ailleurs d’aucune autre sœur. La cellérière pesta entre
ses dents :
— Ce qu’ils sont lents, à la fin ! À ce rythme,
nous n’aurons pas terminé avant la nuit.
— Ces bottes sont fort lourdes.
— Ma mère, vous êtes trop bonne. Ils sont paresseux,
voilà tout. Ils ne pensent qu’à se remplir la panse à nos frais. Mon père avait
fort raison de...
Berthe s’arrêta net. Son père avait battu comme plâtre ses
gens, les rendant responsables de ses manques de jugement. Il les avait
affamés, laissé crever comme des bêtes et l’abbesse ne l’ignorait pas, pas plus
qu’elle n’ignorait que feu monsieur de Marchiennes avait jeté un seul regard
sur sa rejetonne nouvelle-née avant de la déclarer fort laide et sans avenir,
et de s’en désintéresser tout à fait. Berthe s’accrochait à un rêve qu’elle
savait inepte. Elle rêvait toujours d’une vie dont elle avait été privée, une
vie dans laquelle elle aurait été belle. Elle
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