Le souffle de la rose
j’ai trouvé la suggestion de cette silhouette
autoritaire fort appétissante. Un vrai spectre à donner la chair de poule...
Avisé, toutefois. Il m’a fait miroiter des punitions, des sévices que je n’aurais
jamais espéré voir infliger à la belle Agnès, puis m’a confié le nom du
seigneur inquisiteur duquel vous deviez vous rapprocher.
Et Eudes comprit que la haine de Mabile ne connaîtrait nulle
autre trêve que la mort de sa rivale. Il comprit qu’il avait été manipulé, et
qu’il était tombé à pieds joints dans un piège qu’il avait cru, à tort,
concevoir.
— Pourquoi... Pourquoi la détestes-tu tant ?
— Pourquoi ? souffla-t-elle, venimeuse. Pourquoi ?
Parce qu’elle a obtenu sans le demander tout ce que je suppliais que l’on m’accorde.
Parce qu’elle a condescendu, dans sa grande générosité, à accepter du bout des
lèvres ce que je désespérais d’obtenir. J’étais prête à tuer pour cela. Parce
que vous me baisez en suppliant que je lui ressemble. Cela vous suffit-il ?
(Un rire mauvais lui échappa et elle termina :) Je ne manque pas de
ressources... Ainsi ce joli petit mouchoir de batiste que je lui ai subtilisé
afin de l’abandonner à quelques toises du cadavre qu’avaient découvert les
hommes du bailli. Les imbéciles... Ils n’ont même pas compris que si le
mouchoir avait échappé à leur première fouille des lieux, c’est qu’il avait été
accroché à une branche basse, bien après le meurtre. Si la bâtarde réchappe de
l’Inquisition, et j’en doute, ce sera pour mieux finir sous la haute justice
séculière.
Il sembla à Eudes qu’un gouffre venait de s’ouvrir sous ses
pas. Il demanda d’une voix blanche :
— Elle n’a jamais couché avec son chapelain, n’est-ce
pas ?
_ Non. Qu’importe. Il suffit qu’on le croie, je serai
heureuse. Quant à l’hérésie de la mère de cette peste de Clément, sans doute
est-elle plus probable, mais je m’en contrefiche également.
Un vide glacial s’installa dans le cerveau d’Eudes. Il
déclara d’un ton plat :
— Tu as une demi-heure pour quitter le château, sans
emporter davantage qu’une journée de vivres. Tu seras fouillée avant ton
départ. Si tu t’avisais de revenir ou d’étaler nos abjects secrets, ta mort
serait lente.
Il quitta sa chambre sur ces mots. Mabile resta là, quelques
minutes, hésitant entre la crise de sanglots et la fureur. Cette dernière l’emporta
parce qu’elle savait depuis fort longtemps que les larmes ne protégeaient pas.
Elle se releva et cracha entre ses dents :
— Tu me le paieras, et au centuple, mon maître !
Heureusement, son petit pécule amassé depuis des années
était en garde aux Clairets. Avec cela, ajouté aux informations concernant
Eudes qu’elle comptait grassement monnayer, elle repartirait d’un bon pied
ailleurs. Elle se félicita de sa prudence et se prépara, entassant les couches
de vêtements sur son dos.
— Tu me le paieras, je le jure sur mon âme.
Eudes gisait, le front contre la table de la salle commune,
trempant dans une mare d’un rouge trop léger pour alarmer le sieur Manusser,
ancien mire de madame Apolline. Le cruchon vide devant lui témoignait que l’assoupissement
du maître ne devait pas qu’à la fatigue. Il lui secoua l’épaule et se recula
vivement. Eudes grogna dans son inconscience de soudard, puis se redressa, les
yeux mi-clos.
— Quoi ? rugit-il.
— Mabile est partie, monseigneur, prenant la direction
du nord. Il y a une heure. Vous m’aviez ordonné de vous en avertir.
— La nuit tombe-t-elle ?
— Certes.
— A-t-on fouillé cette vaurienne avant son départ ?
— Il en a été fait selon vos ordres. Barbe a vérifié
jusqu’à ses intimités. Mabile n’a pu dérober nulle valeur ni emporter de
document, quel qu’il soit. Nous lui avons accordé une lampe à huile ainsi que
vous le souhaitiez, et des vivres pour le jour à suivre.
— Bien. Mon cheval est-il sellé ?
— À vos ordres, monseigneur.
Eudes se leva, bronchantun
peu, et ordonna : [40]
— Que l’on m’apporte à l’instant un baquet d’eau froide
afin que je m’éclaircisse les idées. Je dois... m’en aller visiter ma mine.
Peu convaincu mais encore moins désireux de provoquer la
colère de son maître, le mire s’inclina et disparut.
Le poing d’Eudes s’abattit sur la table.
— Vilaine putain, tes gredineries sont terminées !
Recommande ton âme à Dieu. Du
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