Le souffle de la rose
la
complimentant sur sa silhouette, sa mise, le timbre de sa voix. Il lui avait
fait répéter son témoignage, avait tenté de la prémunir contre les pièges qu’il
pressentait. Enfin, il lui avait rappelé que si elle semblait se rétracter, le
tribunal inquisitoire risquait de conclure au faux témoignage, et qu’un tel
parjure serait lourd de conséquences fâcheuses pour eux deux.
Le jeune clerc d’une repoussante laideur qui les avait menés
dans la pièce d’attente réapparut. Eudes se leva, faisant mine d’accompagner sa
nièce, bien que sachant que la convocation ne concernait qu’elle. Agnan rougit
en bafouillant :
— Messire, demeurez assis, je vous prie. Seule la
damoiselle de Souarcy est mandée par-devers le tribunal.
Eudes se laissa choir sur sa chaise en exprimant son
mécontentement d’un « par la sambleu [49] ! »
moins retentissant qu’il ne l’eut souhaité.
L’inquiétude qu’il était parvenu à contenir tout le temps du
voyage le gagnait. Et si Mathilde se laissait impressionner par le seigneur
inquisiteur, si celui-ci la faisait trébucher à coups d’arguties, de subtilités
de doctrine ? Mais non, Florin serait grassement payé après la
condamnation d’Agnès. Il avait donc tout intérêt à accepter les déclarations de
la jeune fille comme pain béni. Et les autres contradicteurs, qui étaient-ils ?
Nicolas Florin les rétribuait-il sur sa bourse afin de se garantir leur
complaisance ? Car, pour appétissante qu’elle fut, Mathilde avait la
cervelle d’un étourneau.
Il avait grand tort de s’alarmer. Mathilde était déterminée
à ne rien commettre qui risque de la renvoyer à Souarcy et ses porcheries.
Qu’elle était donc tentante, la jolie damoiselle qui jouait
les effarouchées devant eux. Elle se donnait des mines de jeune dame dans sa
jolie robe de soie pourpre, rehaussée d’un voile fin à l’azur lumineux. Elle se
tenait debout, avec une modestie admirablement feinte, croisant ses mignonnes
mains sur son ventre, baissant un peu la tête. Florin salua silencieusement le
goût d’Eudes de Larnay, se demandant s’il l’avait déjà allongée dans sa couche.
Il s’approcha de la jeune fille et déclara d’un ton suave .
— Mademoiselle... Permettez-moi d’abord de saluer votre
courage et la force de votre foi. Nous devinons tous la peine qui est vôtre.
Devoir accuser une mère est souffrance à nulle autre comparable, n’est-il pas
vrai ?
— Moins que celle d’être témoin de ses errements.
— Comme c’est juste, approuva Florin d’un ton peiné. Je
dois maintenant vous demander de déclarer vos prénoms, nom, qualité et demeure.
— Mathilde, Clémence, Marie de Souarcy, fille de feu
Hugues de Souarcy et d’Agnès, Philippine, Claire de Larnay, dame de Souarcy.
Mon oncle et mon tuteur, le baron Eudes de Larnay m’a généreusement recueillie
en son château après l’arrestation de ma mère.
Le notaire se leva alors et y alla de sa petite récitation :
— In nomine Domini, amen. En l’an 1304, le
11 du mois de novembre, en présence du soussigné Gauthier Richer, notaire à
Alençon, accompagné de l’un de ses clercs et des témoins nommés frère Jean et
frère Anselme, dominicains, tous deux du diocèse d’Alençon, nés respectivement
Rioux et Hurepal, comparaît personnellement et à titre de témoin Mathilde,
Clémence, Marie de Souarcy devant le vénérable frère Nicolas Florin,
dominicain, docteur en théologie, seigneur inquisiteur pour le territoire d’Alençon.
Le susnommé seigneur inquisiteur le remercia d’un sourire
vague et attendit qu’il se réinstalle sur le banc. Il jeta un regard vers les
deux dominicains. Frère Anselme fixait la jeune fille. Quant à frère Jean, il
semblait perdu dans la contemplation de ses ongles, mains posées sur la table.
Nicolas repoussa l’hilarité qui le gagnait : aucun n’était au courant de
la petite tragédie qu’il se préparait à leur offrir sous peu.
Nicolas Florin récupéra le grand livre noir sur la table et
s’approcha de Mathilde à la frôler en demandant :
— Jurez-vous sur les Évangiles que toutes vos paroles
seront véritables, que vous ne dissimulerez aucun détail à ce tribunal, que
vous témoignez sans haine, sans contrainte, ni récompense ? Attention,
damoiselle, il s’agit là d’un serment qui engage votre âme pour toujours.
— Je le jure.
— Damoiselle de Souarcy, vous avez déclaré par écrit de
votre
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