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Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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visage buriné qui lui rappelait
celui de son parrain hospitalier.
    — Vous le savez comme moi, le danger est une maîtresse
caractérielle, Francesco. Il est rarement où on l’attend, d’où sa séduction.
Donnez.

 
Palais du Vatican, Rome, novembre
1304
    Étrange... Lui que la chaleur incommodait tant avait
commencé d’être glacé jusqu’aux os dès après la mort de Benoît.
    On eut dit que les jolis souvenirs qui avaient jusque-là
ému, rassuré Honorius Benedetti, camerlingue du défunt Benoît XI, dans ses
heures sombres, avaient soudain été aspirés par un insondable gouffre. Où donc
s’était enfuie l’histoire de ce joli éventail de dame qu’il avait remisé dans
un tiroir, de cette baignade avec son frère dans l’eau glaciale d’une rivière,
dont ils étaient sortis rosis de froid et de plaisir pour se rendre compte que
leurs plantes de pieds étaient en sang ? Honorius, qui n’avait alors que
cinq ans, avait hurlé qu’ils allaient mourir. Bernardo, son aîné, s’était vite
repris, le consolant contre lui, lui expliquant que les écrevisses étaient
responsables de ces entailles, mais qu’elles les dédommageraient en se transformant
en déjeuner. Ils les avaient faites griller, s’en gavant jusqu’à s’écrouler
pour une sieste. Sa mère... l’odeur enivrante des cheveux de sa mère. Elle les
rinçait d’une eau de miel et de lavande qui donnait envie de les respirer, de
les mordre et de les avaler. Où donc s’étaient évanouis les réconforts de sa
mémoire ?
    Exaudi, Deus, orationem meam cum deprecor, a timore inimici
eripe animam meam [64] .
    Benoît. Benoît avait tout emporté dans la mort. Honorius
aurait tant souhaité lui en vouloir, ainsi la belle mémoire de son enfance
serait-elle revenue vers lui. Mais il n’y parvenait pas. Benoît et son
angélique obstination. Benoît et sa tendre inflexibilité.
    Une houle de chagrin lui fit venir les larmes aux yeux. Doux
Benoît.
    Je t’aimais tant, mon frère. Ces huit mois près de toi ont
été ma seule lumière dans ce palais des dupes que je déteste jusqu’à la nausée.
Benoît, pourquoi fallait-il que tu me contraignes à tuer l’innocence ? Les
autres m’importaient peu, petits insectes inconséquents qui vont où le vent les
pousse. Lorsque je t’ai serré dans mes bras, lorsque tu as vomi ton sang, j’ai
su que j’aurais froid à jamais.
    Benoît, que n’as-tu compris que j’avais raison, que je me
battais pour nous ? Qu’avons-nous à faire d’un bouleversement, nous que la
permanence a tant chéris ? Pourquoi faudrait-il tout abandonner au nom d’une
prétendue vérité, si floue qu’elle ne peut charmer que les insensés ? Je
défends l’ordre établi sans lequel les hommes rejoindraient avec précipitation
le chaos dont nous les avons tirés. Mais que croyais-tu, à la fin ? Qu’ils
aimaient la Vérité, qu’ils appelaient la Justice de leurs prières ? Ils
sont si sots, si veules et si méchants.
    Ah, Benoît... Pourquoi fallait-il que tu me résistes, que tu
me contres sans le savoir. Si tu m’avais approuvé, j’aurais travaillé sans
relâche pour t’installer sur le trône de Dieu comme je l’avais fait pour
Boniface* que pourtant je n’aimais pas. J’aurais été l’infatigable outil qui t’aurait
permis de régner sur notre monde. Dieu t’avait éventé de Son sourire, mais Il m’avait
donné la force de combattre sans relâche. Pourquoi fallait-il que tu t’obstines
dans cette chimère ?
    J’ai pleuré des nuits entières avant de lui donner l’ordre
de t’abattre. J’ai prié des nuits entières. J’ai supplié que tes yeux se
dessillent enfin. Mais tu étais aveuglé de clarté. Les heures de ton agonie
furent les plus longues de ma vie. J’ai tant souffert de te voir souffrir que
je jure de bannir à jamais de mon vocabulaire les mots « tourment,
affliction, calvaire ».
    Benoît... Ton départ a dépeuplé mon univers. Tu étais le
seul qui aurait pu me rejoindre, mais ton amour de Lui nous tenait à distance.
Et pourtant, je L’aime moi aussi plus que ma vie ou mon salut.
    Je m’étais drogué afin de justifier que mon exécuteur des
basses œuvres ait pu passer par le couloir dérobé qui joignait mon bureau à ta
salle. Lorsque j’ai bu cette amère potion, j’ai supplié pour qu’elle m’achève.
La mort s’est détournée de moi. On a mis au compte de l’opium mes balbutiements
quand l’affliction me coupait la voix.
    Souviens-toi.

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