Le souffle de la rose
elle
répéta sans parvenir à se calmer :
— La bête doit mourir, Francesco, il faut qu’elle meure !
La bête doit mourir, il faut qu’elle meure !
Assise sur le petit tabouret de l’herbarium, le dos collé
aux pierres froides, les bras croisés sous ses seins, Annelette Beaupré
réfléchissait. Les aveux de Berthe de Marchiennes ce matin même l’avaient d’abord
assommée. Après le départ de la sœur cellérière, Éleusie de Beaufort et elle s’étaient
consultées du regard, incapables de donner un sens à cette histoire. La mère
abbesse était formelle : sa clef n’avait jamais bougé d’autour de son cou,
et elle avait le sommeil trop fuyant pour que l’on parvienne à la subtiliser
pour la replacer ensuite au cours de son repos. Pourquoi donc avoir restitué la
clef gardée par Berthe si on ne se procurait pas les deux autres, nécessaires à
l’ouverture du coffre du sceau ? Berthe avait-elle menti afin de garantir
ses arrières ? Étrangement, et en dépit du peu d’affection qu’elle
éprouvait pour la cellérière, Annelette ne croyait pas à cette hypothèse.
La réponse fusa dans son esprit : des doubles !
Quatre jours suffisaient amplement pour en faire réaliser par un orfèvre ou
même un forgeron habile. Une inquiétude l’envahit aussitôt : et si Blanche
de Blinot avait, elle aussi, dissimulé la perte temporaire de sa clef ? Si
– étant entendu son délabrement intellectuel – elle ne s’était pas
même aperçue de sa disparition ? Si un deuxième double avait été réalisé,
celui de cette clef dont Annelette avait accepté la responsabilité au vu et su
de toutes ? Elle tâta machinalement le haut de sa robe. Le léger
renflement qu’elle sentit sous ses doigts ne la rassura pas.
La troisième et dernière clef était pendue au cou d’Éleusie.
En admettant que la théorie des doubles soit fondée, Éleusie de Beaufort était
hors de soupçon puisqu’elle pouvait à tout moment ouvrir le coffre afin d’y
récupérer son sceau personnel. En revanche, elle devenait la prochaine victime
puisque sa clef était la seule qui demeurât unique.
Quelque chose n’allait pas. Un détail fondamental manquait.
Pourquoi continuer de s’acharner à récupérer un sceau quand trop d’entre elles
savaient maintenant qu’il était la convoitise de la meurtrière ? Chaque
acte, chaque missive serait scrupuleusement surveillé, vérifié à deux fois par
l’abbesse. D’autant que si cette dernière décédait sous les coups de l’enherbeuse,
son sceau serait aussitôt invalidé.
Tant de fils pendaient, sans nœud ni lien pour les unir.
Toute la logique de cette effroyable histoire était bancale. Annelette ne
parvenait pas à cerner la vérité. L’assassine était intelligente, infiniment
rusée. Elle avait percé à jour les faiblesses ou les forces, les petites
cachotteries, les mesquines vanités ou les grandes aigreurs de ses sœurs pour
les utiliser à son profit. Le Thibaut de Yolande, la morgue d’apparat de
Berthe, la sénilité de Blanche... Mais pourquoi avoir empoisonné Hedwige du
Thilay et Jeanne d’Amblin ? Que venaient faire ces amies de longue date
dans cette géométrie meurtrière ? Amies de longue date... Et si seulement
l’une d’entre elles avait été visée, mais que leur gentille habitude de s’installer
côte à côte aux repas ou de partager leurs tisanes avait entraîné la deuxième
vers la tombe ? En ce cas, laquelle des deux devait mourir ? Hedwige
ou Jeanne ? Hedwige du Thilay ? Existait-il un rapport avec sa
fonction de chevécière ? L’intendante réglait la mense,
surveillait et payait le maréchal-ferrant, les chanteurs, le vétérinaire...
Bref, elle manipulait beaucoup d’argent. On avait vu par le passé des moines se
constituer de véritables fortunes personnelles grâce à des actes falsifiés.
Falsifiés grâce à un sceau d’abbé dérobé ou emprunté. Non... Non, elle s’égarait,
elle le sentait. Annelette aurait mis sa main au feu que les mobiles de la
meurtrière n’étaient pas d’ordre pécuniaire. Alors Jeanne d’Amblin, que seule
sa bonne santé avait sauvée du poison ? Jeanne avait permission de sortir
de l’abbaye pour effectuer ses tournées. Elle rencontrait nombre de donateurs,
s’entretenant avec les uns et les autres, devenant bien souvent leur
confidente. Avait-elle entendu ou vu quelque chose que redoutait l’enherbeuse ?
Quelque chose dont, peut-être, la tourière
Weitere Kostenlose Bücher