Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
Dans l’obscurité glacée des jardins intérieurs, un
sourire de victoire illumina son visage. Ainsi, elle avait vu juste, et sa
surveillance la récompensait enfin. Le camerlingue serait satisfait, et, elle l’espérait,
se montrerait encore plus généreux. La bibliothèque secrète flanquait les
appartements de l’abbesse. Les manuscrits tant convoités par Honorius Benedetti
seraient bientôt à elle. Nul n’était plus besoin d’abattre Éleusie de Beaufort
pour récupérer la troisième clef du coffre, la seule à lui faire encore défaut.
La grâce qu’elle accordait à l’abbesse la contentait assez. Non pas que sa mort
brutale l’eût attristée. Mais Éleusie était un maillon obstiné. Elle
appartenait à cette impalpable toile d’araignée qu’ils ne parvenaient pas à
cerner. Leur mère pouvait dévoiler de précieux éléments. Enfin, si l’on
parvenait à la convaincre de révéler ce qu’elle savait. Cependant, ils ne
manquaient pas de moyens de persuasion !

 
Rue de l’Ange, Alençon, Perche, novembre 1304
    La nuit tombait peu à peu rue de l’Ange. Fallait-il voir un
signe dans ce nom, ou juste une nouvelle ironie du sort ?
    Francesco de Leone se dissimula sous le porche de la belle
demeure bourgeoise de feu Pierre Tubeuf, drapier, qui avait eu l’infortune de
croiser la route de Florin. Il patienta encore, puis traversa la cour carrée
vers l’imposante bâtisse. La lueur vacillante d’une chandelle passait parfois
derrière les tentures tirées des fenêtres du premier étage, preuve que le beau
Nicolas avait rejoint le domicile qu’il avait réquisitionné pour son confort.
    Le chevalier s’était interdit tout plan, toute stratégie.
Une sorte de superstition guidait ses actes. Il lui semblait crucial que Florin
soit l’artisan de son propre châtiment, sans qu’il comprît très bien d’où lui
venait cette certitude. Il ne s’agissait pas de la crainte d’un quelconque
remords, et encore moins de pitié. Non... Il s’agissait plutôt d’une confuse
prescience : rien de ce qui touchait ou approchait madame de Souarcy ne
devait être enlaidi, souillé, pas même l’élimination de son tortionnaire.
    Une humeur avait trempé les yeux de Leone lorsque Jean de
Rioux lui avait narré la cave, le corps allongé, ce dos pâle lacéré, le sang
qui dégouttait de ses plaies. Il lui avait fallu un moment pour comprendre que
ce qui lui gênait le regard était des larmes. Un miracle. Cette femme venait d’opérer
pour lui un premier miracle. Depuis quand n’avait-il pas ressenti cette houle
suffocante de chagrin qui atteste que l’on est humain, qui certifie que l’on a
su préserver son âme de l’émiettement, de l’habitude du pire ? Tant
constater. Patauger dans la mort et la souffrance jusqu’à finir par ne plus les
voir. Le supplice d’Agnès venait de lui remettre crûment en mémoire les corps
tordus ou calcinés, les bouches béantes, les cages thoraciques percées de
flèches, les membres amputés, les yeux crevés. De cela, de ces souvenirs qui s’étaient
avant elle tassés au point de former un indistinct magma, il lui était
infiniment reconnaissant. Il ne voulait plus d’oubli, il refusait le subterfuge
confortable de l’accoutumance à l’horreur.
    Il gravit sans hâte les larges marches plates qui menaient à
la double porte de l’ouvroir et frappa du plat de la main.
    Il attendit, l’esprit vide.
    La porte s’entrouvrit avec prudence puis largement. Nicolas
Florin avait passé une somptueuse robe de nuit en soie chamarrée, rehaussée de
broderies de fil d’or dont Leone fut certain qu’elle avait réchauffé au soir le
sieur Tubeuf.
    — Chevalier ? interrogea-t-il d’une voix de gorge.
    — Je quitte bientôt Alençon et... l’idée de partir sans
vous avoir salué m’a... peiné.
    — Votre départ sans vous revoir m’eut également...
peiné. Entrez, je vous en supplie. Un verre de vin ? La... Ma cave est
bien fournie.
    — Un verre de vin, donc.
    — Cet ouvroir est glacial. Montez, chevalier. J’ai
installé mes appartements à l’étage des maîtres. Je vous rejoins aussitôt.
    La pièce de réception dans laquelle rugissait un feu était
de magnifiques proportions. Une profusion de candélabres jetait une vive lumière
harmonieuse, éclairant comme en plein jour. Les beaux coffres sculptés, les
graciles guéridons importés d’Italie, les hauts miroirs biseautés et les
épaisses tapisseries qui recouvraient les

Weitere Kostenlose Bücher