Le spectre de la nouvelle lune
Longoret à Rosnay, vers le sud.
Constatant qu’il était pourchassé, le suspect, d’abord, accéléra l’allure puis, tout à coup, quitta la route pour se diriger vers le marécage. Parvenu à un marais, il s’engagea sur des chemins qui tantôt émergeaient tantôt disparaissaient sous les eaux. Il progressait avec de brusques crochets autour de buttons, de touffes de roseaux ou d’ajoncs, et le frère Antoine, dont la jument, robuste certes, était peu rapide, faillit perdre sa trace, d’autant que sa monture, à plusieurs reprises, s’embourba dangereusement. Cependant, les détours que faisait le fugitif pour s’échapper servirent, en définitive, l’assistant d’Erwin. Celui-ci coupa au plus court à travers le marais en prenant des risques, sa jument ayant parfois de l’eau jusqu’au-dessus des genoux et des jarrets, et il parvint ainsi à retrouver la piste à quelque deux cents ou trois cents pas derrière le gibier.
Après une longue course errante dans le marécage, l’homme, qui avait réussi à maintenir une bonne distance entre lui et le moine, parvint à la lisière d’une forêt. Il prit un sentier étroit qui s’enfonçait dans le bois entre d’épais halliers et des fourrés impénétrables. Il tenta de distancer son poursuivant. Mais son agilité et la rapidité de sa monture ne jouaient plus en sa faveur. Désormais il s’agissait moins de vitesse que de robustesse, pour pouvoir écarter les branches et buissons qui entravaient la progression. Dans de telles conditions la vigueur de la monture que chevauchait le Pansu, la masse et la force de son cavalier donnaient à celui-ci un avantage certain. Le complice présumé du sicaire inconnu perdit peu à peu du terrain. Il comprit que, de la sorte, il allait être bientôt rejoint, et changea brusquement de direction pour regagner le marais par une allée cavalière. La poursuite, qui avait déjà duré près de deux heures, reprit comme elle avait commencé, harassante, tandis que le soir tombait.
Le Pansu sentit que sa jument était au bord de l’épuisement. Magne s’était engagé sur une sente qui parcourait une sorte d’isthme entre deux marais. Malgré les efforts que faisait le frère Antoine pour stimuler sa monture, le fuyard prenait une avance de plus en plus grande. A un détour du chemin, il échappa à la vue de son poursuivant.
La sente, cependant, aboutissait, en impasse, à un embarcadère, situé non loin d’une chaumière et à l’extrémité duquel se tenaient un homme et une femme gesticulant et hurlant des menaces ainsi que des insultes en direction d’un homme qui s’éloignait sur une barque. Le moine s’avança et reconnut Magne qui s’efforçait de gagner rapidement, en ramant vigoureusement, une rive située, en face, à moins de deux cents pas.
Las de vociférer en vain, l’homme et la femme se retournèrent et aperçurent ce nouvel arrivant qu’ils observèrent avec méfiance. L’assistant des missi, tout en se tenant prêt à utiliser à la moindre alerte ses couteaux de jet, s’approcha d’eux et tenta de leur faire comprendre pourquoi il se trouvait là et qui il était. A peu près rassuré, l’homme prit par la bride le cheval que le fugitif avait abandonné et il pria le frère Antoine de venir partager leur souper. Le moine que la poursuite avait épuisé accepta sa proposition. La chaumière était bien construite et bien tenue. L’accumulation de filets et d’engins de pêche indiquait clairement quelle était l’activité de ceux qui y demeuraient. Bien qu’ils s’exprimassent en un patois assez peu compréhensible, le frère Antoine parvint à échanger quelques propos avec eux tout en mangeant une épaisse soupe de poissons, accompagnée de boissons fermentées dont la femme vanta les vertus rafraîchissantes, calmantes et reconstituantes.
Les hôtes du moine, le repas terminé, lui offrirent de passer la nuit chez eux car il lui serait difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver en pleine nuit le chemin du retour. Pour l’heure, ils allaient le laisser seul quelques instants car ils devaient relever, avant l’obscurité complète, les balances à écrevisses qu’ils avaient posées le long de la rive.
Après qu’ils eurent quitté la pièce, le frère Antoine reprit une louche de soupe et but un autre gobelet de tisane en réfléchissant aux étranges péripéties de son enquête. Puis il décida de sortir dans le crépuscule pour se délasser et faire
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