Le spectre de la nouvelle lune
était venu de passer à l’offensive… Je ne cachai pas à Guntran, à Nodon et aux autres ma surprise ni mes soupçons. Je ne mâchai pas mes mots, il vous en souvient. Puis je soulignai l’importance des moyens mis en œuvre, et bientôt renforcés, pour faire toute la lumière, démasquer les coupables et les capturer. Je fis état de progrès décisifs dans notre enquête. Avant longtemps ils entendraient le cor sonner l’hallali.
Erwin poursuivit avec un visage impitoyable :
— Je voulais qu’ils se sentent harcelés, cernés, traqués, à la dernière extrémité, que, perdant tout sang-froid, ils se lancent dans des entreprises hasardeuses et s’offrent ainsi à nos coups. Et de fait ! Déjà la tentative d’intimidation dont tu avais été la victime, frère Antoine, s’était révélée catastrophique pour eux. Agnès m’a appris d’ailleurs qu’elle s’y était opposée. Mais les initiatives désespérées qu’ils prirent ensuite, et que Flaiel avait continué à imposer à Amric, les conduisirent à leur perte.
— Comptes-tu ton enlèvement parmi ces initiatives ? demanda Childebrand d’un air soupçonneux. Ne me dis pas que tu t’attendais à ce rapt !
— A ce rapt, non, certainement pas. Mais à quelque chose qui nous permettrait une action décisive, oui !
— Et c’est ainsi que dans ce monastère infesté de gredins tu t’es rendu seul, sans arme, de nuit, dans cette chapelle ouverte à tous les vents ? s’écria Childebrand.
L’abbé saxon ne répondit rien. Il se leva, fit quelques mouvements comme pour s’assurer de son équilibre.
— En tout cas, dit-il, nous avons pu, en quelques heures seulement, trancher les têtes de l’hydre. Espérons qu’elles ne repousseront pas…
Laissant Erwin prendre encore quelque repos, Childebrand et les assistants, accompagnés par les serviteurs des rebelles qui attendaient toujours à la porte du prieuré qu’on décidât de leur sort, se rendirent sur le champ de bataille pour évaluer le nombre de bandits morts au combat et faire ramasser les blessés, s’il s’en trouvait. Quant aux blessés, ils n’en découvrirent aucun. Doremus avait fait en sorte qu’on les achevât pour leur éviter un trépas plus ignominieux et plus cruel que celui du guerrier tué arme à la main. Les serviteurs furent chargés de transporter les dépouilles dans une grange où elles seraient examinées pour identification avant d’être enterrées. Le comte ordonna que ces domestiques, ou soi-disant tels, ainsi que les femmes et les enfants qui suivaient la bande, soient ensuite enfermés dans le couvent pour y être, eux aussi, identifiés et interrogés. Doremus et le frère Antoine surveillèrent l’exécution de ces ordres.
Les cinq bandits qui, pour leur malheur, avaient été capturés vivants furent confiés à un détachement pour être conduits à l’abbaye Saint-Pierre et mis en cellule. Les corps des trois Francs qui avaient été tués au cours des affrontements furent placés sur un chariot flanqué d’une garde d’honneur et transportés au monastère de Longoret dans le cimetière duquel ils seraient inhumés après une cérémonie funèbre.
Puis le gros des forces composant la mission impériale, conduit par l’abbé Erwin et le comte Childebrand, prit la route menant à l’abbaye Saint-Pierre. Rafanel et Agnès, libres, mais sous surveillance, chevauchaient au milieu du convoi.
Toute la population de Saulnay et celle de Mézières étaient sur les places et dans les rues pour assister à son passage. A l’évidence tous étaient déjà au courant des événements qui s’étaient produits à Arpheuilles. La curiosité, la crainte aussi se lisaient sur les visages de ceux qui regardaient défiler ces guerriers cuirassés, lesquels, en une matinée, avaient anéanti une bande ayant dicté sa loi à la Brenne pendant des années. Aucun commentaire, aucune rumeur, aucun brouhaha, aucun cri. Certains déploraient-ils la mort du Baron, champion, à leurs yeux, de la cause d’Aquitaine ? D’autres regrettaient-ils le temps des bacchanales, des « grands tapages » ? D’autres encore, complices proches ou lointains des « compagnons de la nouvelle lune », redoutaient-ils de lourdes représailles ? D’autres enfin tremblaient-ils à la pensée que les vainqueurs pourraient donner libre cours à leur soif de vengeance, à leur rage ? Mais peut-être se trouvait-il aussi, dans la foule, nombre de femmes et d’hommes
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