Le spectre de la nouvelle lune
clandestinement la vie d’un chef de bande. Sans doute s’était-il débarrassé de manière expéditive de son collègue Godart, soit à la suite d’une dispute, soit, plus vraisemblablement, parce que ce dernier, ne faisant pas partie de la conspiration, le gênait dans l’accomplissement de ses forfaits.
Le vicomte Farald avait été obligé de reconnaître, d’autre part, que contrairement à ce qu’il avait soutenu d’abord, son adjoint, Raynal, n’avait pas regagné Châteauroux ; il avait disparu ! Ce singulier personnage avait-il joué un rôle important dans la rébellion, celui d’un autre Flaiel, voire du Baron ? Erwin fit remarquer que, chargé par le vicomte de contrôler la perception des redevances et tonlieux dans toute la Brenne, Raynal avait eu, comme Berthet, toutes facilités pour mener une double vie. Quant à Farald, ou bien il s’était montré particulièrement incapable, ou bien il avait préféré fermer les yeux, ou bien, ce qui était peu vraisemblable, il avait été complice. Il fut mis aux arrêts. Le roi Louis, souverain d’Aquitaine, déciderait de son sort.
Les deux missi dominici se retirèrent à l’issue du repas pour arrêter les mesures à prendre dans l’immédiat.
Childebrand se lança d’emblée dans un réquisitoire des plus sévères, concluant que nulle peine ne serait trop rigoureuse pour châtier les coupables et qu’il fallait traquer tous les complices. Il s’était exprimé d’un trait avec des bouffées de colère, en particulier quand il avait évoqué le rapt de son ami et les dangers qu’il avait courus.
Erwin, non sans quelques précautions oratoires, ne cacha pas qu’il ne partageait pas cette inflexibilité. S’il s’agissait de ne laisser subsister aucun doute quant à la détermination des missi dominici, la démonstration en avait été abondamment apportée par l’habileté, la rapidité et l’efficacité des investigations, par l’intervention foudroyante qui avait anéanti la bande, par la découverte de ses repaires, la destruction de ses moyens. Qu’ajouter à cela ? Ceux qui avaient pris les armes contre le souverain et qui avaient été capturés vivants auraient évidemment à subir les châtiments que méritaient leurs crimes. Ceux qui avaient servi ces rebelles, hommes et femmes actuellement détenus à Arpheuilles, seraient eux aussi sanctionnés. Mais ensuite ? Poursuivre la chasse afin de découvrir de nouveaux complices et prolonger – mais jusqu’à quand ? – les procès ? N’était-ce pas toute la Brenne qui, de gré ou de force, avait aidé ces « compagnons de la nouvelle lune » ? Fallait-il soumettre tous ses habitants à la question ?… Et avec quelles conséquences ?
Le comte, les mâchoires serrées, persista dans son intransigeance. Le caractère odieux, sacrilège, criminel – ô combien ! – des actes perpétrés par les bandits excluait toute faiblesse, toute indulgence. Si un pays avait pu soutenir de tels rebelles sans subir un châtiment à la hauteur de ce forfait, alors l’agitation, la sédition, la révolte ne s’en trouveraient-elles pas encouragées partout ? Un seul devoir : sévir, sévir encore, sévir toujours !
L’abbé saxon rétorqua sèchement que la mission qui leur avait été confiée par l’empereur ne consistait pas seulement à manier la hache, mais aussi, et peut-être surtout, à restaurer l’ordre et la paix, à assurer les conditions de la prospérité des terres et de la fécondité des hommes ; encore fallait-il commencer par ne pas ravager les unes et faire périr les autres. L’empire avait besoin de richesses, l’ost de guerriers. Tels étaient les buts à atteindre. Les bandits qui avaient porté des coups à de telles ambitions ayant été écrasés, l’important, à présent, était d’assurer la sécurité de chacun, de rassurer la population, de lui montrer qu’on pouvait faire confiance à l’empereur, à ses comtes et à ses envoyés ! Pas de justice désarmée certes, mais pas non plus d’armes qui ne seraient pas au service d’une telle fin ! La prolongation inutile d’une extrême rigueur ne ruinerait-elle pas de telles espérances ? Que diraient, en effet, ceux qui la subiraient ? « Voici, se lamenteraient-ils, que tout recommence comme il y a trente ans, quand les armées opposées des Francs et des Aquitains mettaient notre pays à feu et à sang. »
— Alors, ajouta Erwin, les rancunes, les peurs et les haines qui s’étaient peu
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