Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
Laumier colla son nez à la vitrine. À mi-hauteur de l’escalier menant à l’appartement du premier étage, l’un des patrons, Kenji Mori, effectuait une retraite discrète, tandis que le commis Joseph Pignot, adossé au manteau d’une cheminée ornée du buste de Molière, parcourait un quotidien. De Victor Legris, le second propriétaire, nulle trace.
    Filant vers le porche de l’immeuble attenant, Maurice Laumier tergiversa un instant et se résigna à toquer à la loge.
    « Du nerf, que diantre, tu ne vas pas dételer si vite ! »
    Micheline Ballu laissa en plan ses carottes et ses navets. Cette fin de siècle vouée aux pires turpitudes engendrait son lot d’excentriques, et rien ne l’étonnait depuis que feu son mari Onésime et elle-même s’étaient établis concierges dans un quartier de « gendelettres » et d’étudiants. Aussi n’accorda-t-elle qu’une attention distraite à ce godelureau ratatiné sous la pluie, probablement un distributeur de prospectus vu sa dégaine.
    — Ô gardienne du détroit, déesse du vestibule, soyez assez bonne pour m’indiquer où perche le vénérable sieur Legris.
    Micheline Ballu s’était apprêtée à rabrouer l’importun. Cependant, être qualifiée de déesse lorsqu’on s’attribue en secret le pseudonyme de Bands, reine de Saba, roucoulait à ses oreilles telle une douce mélodie. Comment résister ? Elle dénoua prestement les cordons de son tablier, aplatit une mèche rebelle de l’index sitôt pointé vers l’escalier, en murmurant avec une génuflexion préjudiciable à son arthrose :
    — Premier gauche.
    Mais, alors que le bellâtre s’élançait en ne s’acquittant d’aucun remerciement, elle beugla :
    — Y risquent pas d’vous recevoir, y-z-ont les esgourdes encrassées ! Le tapis, c’est pas pour les chiens ! Furibarde, elle réintégra ses pénates.
    — Bands Ballu, ah j’te jure, à ton âge ! T’es rien qu’une cruche fêlée, espèce de niquedouille, grommela-t-elle à l’intention de ses tubercules.
    Immobile face à la porte de l’appartement sis au-dessus de la librairie, Maurice Laumier hésitait. Ses rapports avec Victor Legris n’étant pas des plus chaleureux, il avait renâclé avant de se décider à quémander son appui. Finalement il sonna.
    Brandissant une louche, lui apparut une matrone trapue à chignon bardé d’épingles. Il recula, médusé, et s’écria :
    — Irremplaçable Amalthée, fée de ce palais, j’aspire à entretenir M. Legris d’une question privée.
    Euphrosine Pignot fronça les sourcils, s’efforçant de se remémorer où elle avait déjà rencontré cet énergumène, un rapin dont le nom lui échappait.
    — Il habite plus ici, et, à c’t’heure, il est en bas, pardi !
    Sans que le visiteur ait eu le loisir de protester, elle claqua la porte et regagna ses fourneaux.
    « Qui c’est encore, cet escogriffe ? Guère catholique ! Et qu’est-ce qu’y m’chante avec son maté ? Ma croix est plutôt lourde, et me v’là convertie en groom ! M. Mori se figure peut-être que j’ vais m’transformer en idole à huit bras comme cette hideuse statuette hindoue qui trône sur son guéridon. Ben, il commet une bourde monumentale ! Moi, la mère de son gendre ! »
    Euphrosine Pignot se barricada à double tour dans da cuisine. Quand elle mitonnait ses plats en récitant les stations du chemin de croix, nul ne pouvait franchir l’entrée de sa forteresse culinaire, même en montrant patte blanche. Victime propitiatoire de cette evction, Kenji Mori en était réduit à préparer son thé dans son salon sur un réchaud à alcool. Dorénavant maître-queux de la famille, Euphrosine glissait habilement viande ou poisson au cœur de légumes amalgamés en purées, bouchées ou croquettes, car elle allait enfin devenir grand-mère, et elle veillait aussi jalousement sur sa belle-fille qu’une curatrice au ventre du temps des Capétiens. L’idée que son futur descendant héritât d’un sang débilité parce que Iris Pignot, ci-devant Mori, était végétarienne la révoltait. Chaque soir, retranchée au sein de son deux-pièces de la rue Visconti où elle vivait désormais seule, elle se creusait la cervelle afin de composer des menus équilibrés destinés à celui qui allait prolonger une illustre lignée charentaise – elle se souciait peu des ancêtres japonais de l’enfant, un mâle évidemment. Elle disposait de moments de réflexion, puisque, depuis le

Weitere Kostenlose Bücher