Le talisman de la Villette
X de Pékin 8 , vous n’avez pas besoin d’en savoir plus. »
— L’impertinent ! Je le raccourcirais sans procès, cet habitant de Pékin ! Ou alors je l’expédierais en première ligne caparaçonné de dynamite, et il servirait d’éclaireur à nos vaillants pioupious coloniaux ! Tôt ou tard nous contrôlerons Madagascar ! affirma le vieillard.
— Madagascar ? répéta la dame rondelette. Vous partagez donc la conviction du colonel de Réauville.
— Je ne prophétise jamais en vain, chère madame de Flavignol. J’ai des relations au ministère. Madagascar se francisera sans peine dès que nous en serons les maîtres.
— L’Indochine aussi deviendra française, si rétive soit-elle, si peu aryenne et tellement chinoise, à condition d’extirper la culture jaune en substituant le français aux dialectes annamites qui sont un bavardage inférieur. Ce sont les termes employés par M. Gabriel Bonvalot, le célèbre explorateur, pérora la femme au rictus.
— Je constate, madame de Brix, que vous vous sentez concernée par l’expansion de notre culture, approuva le vieillard
— Assurément. À la suite de mon hémiplégie, et de mon remariage avec le colonel de Réauville, j’ai décidé de créer un salon artistique en mon hôtel de la rue Barbet-de-Jouy. J’y organise des collations dînatoires et j’y reçois les membres du Comité Dupleix 9 , ils connaissent à fond ce sujet. Ainsi que mon quatrième époux ne cesse de le marteler : « L’Empire Céleste et ses satellites n’ont pas vraiment de langue, Hé bien, qu’on leur en donne une ! »
— Bravo ! Là où est l’effort, là sera le succès.
Excédé par les propos des moukères – sobriquet attribué aux perruches attroupées autour de lui – et par l’obstination de Maurice Laumier qui, l’année précédente, avait tenté de séduire Iris, Joseph se rencogna à l’abri de son quotidien. Il avisa un encart en bas de page.
MODERNE ! INOUÏ !
« Toujours en quête des feuilletons les plus palpitants, Le Passe-partout se félicite de publier en exclusivité la seconde œuvre de M. Joseph Pignot, La Coupe de Thulé , dont nous offrirons la primeur à nos fidèles lecteurs à partir du mois prochain. Ceux qui ont aimé L’ Etrange Affaire des Ancolies (édité en roman chez Charpentier & Fasquelle) se délecteront des aventures gothiques de l’intrépide Frida von Glockenspiel et de son chien Éleuthère, lancés sur la piste de l’ambre maléfique. Un récit qui enchantera autant les messieurs que les dames et les demoiselles à l’âme tendre. »
Le souffle court, Joseph plia le journal près du buste de Molière et se gratta la nuque en marmottant :
— Les vaches ! J’espère une réponse depuis octobre, ils auraient pu me prévenir, on n’a même pas discuté du contrat ! Une avance de deux cents balles, une misère ! Cette fois, j’exigerai mille francs ! Clusel fera la gueule, c’est clair. Je lui concéderai huit cents francs, dernier prix, sinon…
Il se frotta les mains.
— Bientôt la gloire, les honneurs et tout le saint-frusquin ! Quelle bande de… Ils ont retardé la parution de mon chef-d’œuvre pour contenter ce gâche-papier de Pelletier-Vidal ! Un style effarant, une intrigue insipide ! Tout ça parce qu’il briffe à la table de Paul Bourget !
Maurice Laumier abordait la cheminée quand une nouvelle arrivante, toque hérissée de plumes, la bouche en bec de perroquet, le bouscula et fonça vers Joseph.
— Olympe, quelle surprise ! gazouillèrent les moukères.
— Monsieur Pignot, ayez l’obligeance de me procurer Les Malheurs de Sophie , de Mme la comtesse de Ségur née Rostopchine, que j’ai l’intention de lire aux jumeaux de ma nièce Valentine, Hector et Achille.
— On doit avoir ça au sous-sol.
— En ce cas ne traînez pas, jeune homme, courez-y !
— Et qui va garder la boutique ?
— Douteriez-vous de notre probité ? se récria olympe de Salignac.
Adressant un signe de connivence à Joseph, Raphaëlle de Gouveline, la dame aux chiens, crut judicieux d’intervenir.
— Quelle jolie histoire et quelle saine lecture ! Qui de nous n’a dévoré le délicieux chapitre où Sophie, anxieuse de guérir sa poupée d’une affreuse migraine, lui impose un bain de pieds chaud ? La poupée est en cire et Sophie ne récupère qu’une estropiée. N’avez-vous pas pleuré à cet émouvant épisode ?
— Ma chère, êtes-vous
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