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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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convaincue que cela soit rédigé de la sorte ?
    — Positivement, Olympe. Et puis, il y a le fameux passage des poissons rouges, infortunées bestioles décapitées toutes vives par cette naïve Sophie ! J’en frémis encore.
    — Hum… Je vais plutôt leur acheter des soldats de plomb. Oui, c’est une façon de leur inculquer le sens du devoir et l’amour de la patrie. M’accompagnez-Vous, mesdames ? proposa-t-elle sans prendre congé de Joseph.
    11 y eut un bruissement d’étoffes et un courant d’air qui vidèrent la boutique de ses occupants, y compris le vieillard accroché aux basques de Mme de Réauville-Brix.
    Maurice Laumier et Joseph s’affrontèrent, des duellistes sur le point de s’entre-tuer. Mais il ne s’ensuivit qu’une joute verbale.
    — Tiens, le Rubens de la chopine !
    — Que je sois changé en pierre si ce n’est là le Dumas du pauvre ! Comment se porte votre dulcinée ?
    — Ne vous bercez plus d’illusions, Iris est devenue Mme Pignot.
    — Paris regorge de muses célibataires. Transmettez mes condoléances à votre épouse.
    — À quel titre ?
    — Elle a troqué sa liberté chérie contre l’austère carrière matrimoniale. Navré de vous déranger…
    — Il est exact que vous me dérangez. Alors, décanillez !
    — Pas avant d’avoir parlé à M. Legris, c’est important.
    — Je vais donc être débarrassé de vous, mon beau-frère est rue Fontaine.
    — Beau-frère de ce cher Legris et commis ? On vous exploite !
    — Je vous interdis de…
    — Adieu, heureux époux ! claironna Maurice Laumier en soulevant son béret. Et dites à votre gente moitié que je suis prêt à la croquer de profil, de face, avec ou sans voile, à sa convenance !
    Joseph chercha un objet à jeter à la tête de l’impudent, quand il se retrouva seul.
    Sa colère retomba et il fut écrasé sous un amas d’idées noires. Il ne valait pas un clou, ni comme libraire, ni comme écrivain. L’inclination d’Iris pour lui était un leurre, et leur nouveau-né serait bossu. À quoi bon ?
    — Mon minet, je t’ai accommodé ton frichti préféré pour ce soir, faut qu’tu t’consolides la santé, brama sa mère. Je l’ai planqué au fond du buffet, t’auras qu’à le réchauffer.
    La perspective de ripaille carnée lui rendit foi en l’avenir.
    « Chic ! Un rosbif saignant avec des pommes sautées ! »
     
    Tasha se rongeait l’ongle du pouce, incapable de choisir entre deux toiles : l’une, celle d’un homme nu assis de dos, la seconde, les toits de Paris au crépuscule. Elle fut tentée de solliciter l’avis de Victor, enfermé dans l’appartement à l’extrémité de la cour où il développait des clichés. Elle résista.
    — Va pour les toits.
    Peu après leur mariage civil, contracté en automne 1893 à la mairie du neuvième arrondissement sans autres témoins que leurs proches, ils avaient élaboré une stratégie destinée à leur permettre de poursuivre leurs activités en toute indépendance. Ils consacraient la matinée à leurs passions respectives : bibliophilie et photographie, peinture et illustration. Lorsque leur emploi du temps leur en laissait le loisir, ils déjeunaient rue Fontaine, où ils avaient engagé un ancien maître d’hôtel, André Bognol, responsable des repas et du ménage. Cet homme stylé les avait délivrés de l’indiscrète Euphrosine Pignot.
    Quand ils ne s’étaient vus de la journée, ils dînaient en tête à tête. Toutefois, Tasha rentrait fréquemment à des heures indues, soit qu’un rendez-vous professionnel la retînt en ville, soit qu’elle prolongeât une visite à sa mère Djina, chez qui elle continuait à enseigner l’aquarelle. Elle éprouvait parfois un sentiment de culpabilité vis-à-vis de Victor, et bien qu’il s’en défendît, elle craignait qu’il ne conçût une certaine amertume de se sentir négligé. Aussi lui réservait-elle les dimanches afin de folâtrer au lit, de baguenauder le long des quais de la Seine, à moins qu’une brusque envie de verdure ne les attirât dans un coin de banlieue.
    Elle qui avait tant redouté le statut d’épouse admettait n’avoir rien perdu de son autonomie. Victor était plus attentionné que jamais, et leur désir ne donnait aucun signe de lassitude.
    « La vie d’un couple est semblable à l’entretien d’un fourneau : trop de tirage et le foyer s’embrase, pas assez d’oxygène et il s’enfume », assurait Kenji. Pourtant,

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