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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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ténébreux bancal. Maintenant vous. Tout le monde lui court après, dommage qu’il ait émigré !
    Victor tiqua. Le mot dolman venait de faire surgir son corpulent rival : l’inspecteur Lecacheur.
    « Il est déjà en chasse, le bougre ! »
    — Pardon ? J’ai peine à vous suivre. M. Gamache n’est plus ici ? demanda-t-il à l’homme en uniforme.
    — Gamache, c’est moi.
    — Ah ! Vous êtes le gardien de l’octroi, et, que je sache, vous vous acquittez fidèlement de votre fonction !
    Un doute effleura Alfred Gamache. Malgré son allure décontractée, ce pékin n’était-il pas un de ces mystérieux supérieurs officiant dans des sphères si distantes que songer à eux revenait à tenter de se représenter les dieux de l’Olympe ? En ce cas, inutile de couvrir un imbécile et de mettre son gagne-pain en péril.
    — Moi, j’ai juste constaté la mort, quant à l’autre, le témoin du crime, je n’ai mentionné son existence à personne parce que c’est un type un tantinet simplet, et que je m’en serais voulu d’être rosse. Il pète de trouille, ce pauvre Lorson.
    — Lorson ?
    — Martin Lorson. Il habitait le secteur, mais il a levé le camp pour aller crécher aux abattoirs, enfin, la nuit. Le jour, il ne tient guère en place, un vrai criquet pèlerin ! Il doit bivouaquer chez ses poteaux.
    — Qui sont-ils ?
    — Berthier, Norpois, Collin. À moins qu’il n’ait poussé jusque chez Jaquemin, rue de Flandre, à la fabrique de pianos Érard. Pourquoi vous notez ça ? Vous êtes qui ?
    — Victor Legris, serviteur. Mon épouse réalise des illustrations pour un journal, Le Passe-partout . Elle dessine à la une les faits du jour, tant politiques que criminels. Elle est également peintre et prépare une exposition, elle m’a chargé de m’informer.
    — Ah, elle est peintre ! s’exclama Alfred Gamache soudain débarrassé d’un énorme poids, au point d’en appuyer son sabre-baïonnette contre un des pilastres de la rotonde. Moi, j’en fréquente un, de peintre, un collègue. Il est gabelou depuis plus de trente ans à l’octroi de la porte de Vanves. Pendant ses loisirs, il barbouille. Je ne suis,pas toqué de ses toiles, ça ressemble à des images d’Epinal revues et corrigées par un façonnier de panneaux-réclame, le genre « Vous toussez ? Pastille Géraudel » ou « Consommé Julius Maggi », sauf que là ça s’intitule Les Artilleurs , La Carmagnole ou je ne sais quoi…
    — Vraiment ? grommela Victor, pressé de quitter les lieux.
    — Oui, oui. Chaque fois qu’il expose, je me déplace avec la bourgeoise, ça nous fait une sortie. L’année dernière, on est allés au Salon des Indépendants, y avait de ces guignols ! Vous le connaissez peut-être, Henri Rousseau, on dit le Douanier Rousseau 18  ? Question couleurs et proportions, c’est rien biscornu !
    — Mon épouse, certainement… Je vous remercie.
    — Hep ! Monsieur, puisque vous côtoyez les journalistes, tâchez de tenir secret le nom de Lorson, ça changera rien à vos affaires, tandis que lui, il en deviendrait maboul !
    — N’ayez crainte, s’il me raconte son histoire, je signerai : un anonyme. Mon épouse en tirera une composition… impressionniste !
    Alfred Gamache reprit sa faction, satisfait d’avoir échappé à la vigilance des huiles et participé à l’élaboration d’une œuvre d’art.
     
    Du ciel opaque dégouttait une pluie de neige fondue, muée en gadoue dès qu’elle touchait le pavé de la rue de Flandre. Victor prenait garde à ne pas déraper et se félicitait d’avoir préféré les transports en commun à la bicyclette. La chape qui pesait sur la ville donnait à la matinée un aspect crépusculaire. Il évitait les passants emmitouflés dans des cache-col. Sur la chaussée limoneuse circulaient au pas des véhicules utilitaires, copieusement arrosés d’une gerbe de boue au passage d’un omnibus ou d’un fiacre égaré au sein de ce quartier voué au labeur. Tout contribuait à la mélancolie, cependant Victor était peu à peu gagné d’une ivresse inconsciente. S’il avait pris le temps de réfléchir, il aurait reconnu l’exaltation d’une enquête à ses prémices.
    Aux abords des abattoirs, le rez-de-chaussée des immeubles était troué d’un nombre faramineux de troquets : À l’ Amiral , Au veau d’or , Au mouton blanc , Au bélier d’argent . L’orgue de Barbarie d’un manège, où de hideuses vaches de

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