Le Temple Noir
tavernes, ses nombreux exploits et bienfaits.
Derrière la tenture, la voix venait de se taire. Un homme avait épanché sa conscience. Ses fautes avouées, maintenant il attendait le pardon de Dieu.
Le Légat fit un signe de croix et prononça la formule sacrée :
— Ego te absolvo.
Le pénitent se leva, aussitôt remplacé par un autre pécheur. Le Légat se pencha contre la tenture.
— Je t’écoute, mon fils.
— Monseigneur…
La voix du conseiller. Le Renard tressaillit.
— … Roncelin s’est échappé.
Ferme d’Ein Kerem
Construite à distance du village, la vieille bâtisse, avec ses moellons mal équarris et sa toiture de tuiles fanées au soleil, n’inspirait pas une franche impression de prospérité. D’ailleurs, on n’entendait ni le beuglement des troupeaux, ni le murmure d’une source. L’aire de battage était à l’abandon et la mare envahie de lentilles d’eau. Même les pèlerins qui parcouraient les environs ne s’arrêtaient jamais dans cet endroit isolé. Quant à l’abbé du monastère voisin, pourtant avide de terres, il ne s’était jamais intéressé à ce lopin oublié. Adossée à une ancienne carrière, la ferme s’enfonçait peu à peu dans l’oubli. Pourtant sa porte d’entrée était solidement fermée de serrures de bronze et ses deux étroites fenêtres closes par des vantaux de chêne. Une dépense soigneusement notée dans les archives du Temple pour le mois de février 1232, date à laquelle Évrard avait choisi d’en faire sa base arrière, à distance de Jérusalem.
Depuis son installation en Terre sainte, un siècle plus tôt, le Temple avait bénéficié de nombreux dons, particulièrement en terres. Ainsi, les donateurs espéraient-ils avoir des droits à la reconnaissance de Dieu au moment où leur âme pécheresse ferait face à saint Pierre. Pour autant, leur générosité était âprement calculée et les frères du Temple se retrouvaient rarement propriétaires de riches terres à labours ou de vignobles réputés. C’est ainsi qu’ils avaient hérité de la ferme d’Ein Kerem, de sa toiture branlante et de ses champs caillouteux.
Pourtant, derrière les murs à l’abandon, Évrard avait transformé cette ruine en une cache discrète où il changeait autant d’apparence que de personnalité. Dans la grande salle, contre un mur aveugle, un solide coffre en noyer contenait tous les travestissements de l’espion : de la soutane du prêtre aux étoffes rutilantes du souteneur, de la cotte de mailles du garde à la bure du moine. Sans compter les accessoires, souvent rares et précieux, qu’Évrard achetait dans le quartier de l’Arbre sec. C’est d’ailleurs là, chez un apothicaire copte, qu’il avait mis la main sur cette poudre, l’ Ouroboros, dont une tradition discrète voulait qu’elle ouvre en grand les portes du souvenir. Il saisit une mesure, dont se servaient les changeurs pour peser les paillettes d’or et la remplit à moitié. Puis il l’effrita dans un verre de vin sombre.
Effondrée sur le sol, une forme gisait face à la cheminée à l’âtre vide. Accroupi, le Devin l’inspectait.
— Il a été torturé. On lui a planté une pointe de métal dans la paume.
Évrard interrompit sa préparation.
— C’est blasphème que d’imiter les souffrances de Notre-Seigneur.
— En tout cas, le bourreau connaît son métier : il n’a lésé aucun nerf. Il comptait sans doute le tourmenter à nouveau.
D’un geste vif, l’espion fit tourner le mélange.
— C’est prêt. Relève son visage.
Le Devin hésita. Il regardait avec défiance le liquide noir dans le gobelet. Ça lui rappelait le sang du Borgne qu’il avait versé sur le corps de la bergère assassinée. Étrangement, lui qui pratiquait l’évocation des morts, la nécromancie, que l’Église condamnait comme la pire des sorcelleries, regimbait à rentrer par effraction dans la mémoire de Roncelin.
Évrard s’expliqua.
— La recette vient d’Égypte. Les anciens prêtres païens l’utilisaient pour voyager dans les terres incertaines.
— Incertaines ?
— Ces lieux dont on ne sait s’ils n’existent que dans l’imagination ou s’ils sont les royaumes des dieux oubliés.
Ou ceux des morts, pensa le Devin.
— On dit aussi que, durant leur transe, l’esprit des prêtres devenait aussi transparent que l’eau claire, que toute leur mémoire remontait comme un invisible soleil des profondeurs.
L’espion saisit le
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