Le Temple Noir
Le conducteur sauta de son banc pour enfoncer des cales de bois sous les roues. Les essieux immobiles, Caron, comme on le surnommait, replia une vieille bâche en toile mitée et vérifia son chargement. Ce matin, le ramassage était exceptionnel. Déjà plusieurs clients, rien qu’en parcourant les faubourgs à l’extérieur de la ville. Et puis des bons, pas de victimes d’épidémie, pas de nourrissons sans valeur ; non, de vrais cadavres que les responsables du cimetière allaient lui compter en monnaie sonnante et trébuchante. Caron se frotta la moustache. Il pourrait aller vider une carafe de vin de Chypre ce soir. Depuis le début de l’année, les bonnes journées se comptaient sur les doigts de la main. Le plus souvent, il ne ramassait que des vieillards racornis de misère, des épaves humaines brûlées de vices que les fossoyeurs s’empressaient de fourrer dans une fosse commune en lui jetant deux sous. En fait, les religieux qui s’occupaient du cimetière n’aimaient guère les pauvres, les anonymes, pour lesquels on ne faisait dire aucune messe.
Aujourd’hui il avait un chargement de qualité. Rien que dans le quartier de l’Arbre sec, il avait ramassé deux pèlerins qu’un coup de couteau avait fait passer de vie à trépas. Bien sûr, le convoyeur les avait soulagés de leurs derniers biens terrestres, une croix en cuivre et une médaille de saint. Mais il le faisait pour le salut de leur âme, car mieux valait se présenter pauvre et nu devant saint Pierre. À sa façon il les aidait à gagner le paradis.
Une patrouille, qui remontait la rue, s’écarta quand elle reconnut le chariot. Caron ricana. Ç’avait été pareil aux portes de la ville, il ne subissait jamais aucun contrôle. Les soldats qui fanfaronnaient dans les tavernes crevaient de peur à la vue d’un cadavre. Il compta les pieds : quatre, six, huit, dix. Cinq corps. Un bon chiffre. Il revint et se baissa pour enlever les cales. Un bruit sourd fit vibrer le chariot. Il se releva comme son mulet se mettait à braire. Saisissant son fouet, il s’avança vers l’arrière. Son cœur bondit dans sa poitrine. Les corps avaient bougé. Il se figea : il ne restait plus que quatre paires de pieds.
Ferme d’Ein Kerem
Bina ferma les yeux.
— Ça ne va pas ? interrogea Roncelin.
Il venait de lui raconter l’histoire des salles souterraines sous le Temple de Salomon, les fouilles effectuées par les frères du Temple et la découverte du message caché.
Le regard vert de Bina se réveilla juste avant qu’elle ne parle.
— La vérité gît au fond du tombeau … Dire que des hommes ont usé leurs forces, leur vie pour laisser un message destiné à traverser les siècles.
— Si l’on savait déjà à qui était destiné le message, ce serait plus clair.
La Juive le contempla, étonnée. Depuis que ce Franc prenait soin d’elle, elle était surprise à la fois de sa curiosité intellectuelle et de sa capacité de réflexion. Pour elle, les chrétiens étaient soit des soudards avides d’or et de violence, soit des prêtres affamés d’autorité et de méfiance, pas ce jeune homme aux cheveux blonds et au regard profond qui l’écoutait avec attention.
— Le message est taillé dans la pierre juste en dessous de l’ancien Temple qui a été détruit par les Romains, ce ne peut pas être un hasard. Il y a une volonté, un but.
— Et un message en hébreu, ajouta Roncelin.
Bina sourit affirmativement avant de reprendre :
— Ceux qui ont creusé pendant des années connaissaient parfaitement la tradition. Ils savaient que si les Juifs revenaient, leur première volonté, leur tâche primordiale serait de reconstruire le Temple à l’endroit même où Salomon l’avait édifié.
— En reprenant les fondations, bien sûr.
Les yeux de Bina étincelèrent.
— Tout juste. On peut donc penser qu’un petit groupe de Juifs restés à Jérusalem après la destruction du Temple, ont secrètement œuvré pour délivrer un message à la postérité, certains qu’un jour Yahvé nous permettrait de revenir d’exil et de vivre sur notre terre.
En disant ces mots, le ton de Bina avait changé. Il devenait presque enflammé. Le Provençal modéra aussitôt son enthousiasme.
— Possible. Maintenant explique-moi à quoi peut bien servir aux reconstructeurs du Temple, un message aussi proverbial : la vérité gît au fond du tombeau.
Une nouvelle fois, les yeux de Bina brillèrent.
— Il faut
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