Le Temple Noir
déboucha dans un couloir voûté. Une forte odeur d’humidité et de terre imprégnait l’air. De chaque côté du mur de brique, des portes en métal sombre, éclairées par des lampes de chantier grésillantes, étaient solidement verrouillées par de lourds cadenas. Antoine eut une brusque sensation d’étouffement. D’un ton badin, la tueuse susurra :
— Il paraît qu’au XIX e siècle, ça servait de logement de fortune pour punir les domestiques de la maison. Du Dickens tout craché. Avance, on n’est plus très loin.
Le couloir débouchait sur une pièce circulaire occupée par une large citerne cylindrique piquetée. Une échelle à barreaux menait à une trappe d’accès au niveau supérieur, fermée par une vanne.
— Terminus… pour toi. Grimpe là-dedans.
Malgré sa panique naissante, Antoine monta sur l’échelle tout en jetant des regards sur la pièce. De larges canalisations grises couraient le long des murs pour aboutir aux deux extrémités de la citerne. Il tourna le volant et ouvrit la trappe. L’intérieur baignait dans une profonde obscurité.
— Encore un effort et tu vas retrouver l’amour de ta vie, murmura la Louve à son oreille.
Antoine posa son pied droit sur le dernier barreau. D’un geste brusque, la tueuse le renversa à l’intérieur. Antoine perdit l’équilibre et s’étala sur le sol. Ses coudes et ses genoux heurtèrent le métal. Une douleur vive irradia sa pommette. Il entendit la voix de la Louve, aussi dure que le métal qui l’avait écorché.
— Profitez des derniers instants qu’il vous reste tous les deux. L’épreuve de l’eau vous attend.
Le rire sonore de la Louve s’amplifiait dans la cuve et se répercutait sur les parois. Elle claqua la trappe brutalement.
Alors qu’Antoine se relevait péniblement, une voix plaintive jaillit dans le noir.
— Aide-moi. Je t’en prie !
Marcas se figea. C’était Gabrielle. Des pleurs montaient dans les ténèbres humides.
Antoine avançait à tâtons, tendant les bras dans l’obscurité. Le sol était glissant, rempli d’eau.
— Parle-moi, Gabrielle. Je n’arrive pas à te repérer.
— Ici.
Elle était à portée de main. Il voulait la serrer dans ses bras, la protéger.
— J’arrive.
Ses pieds touchèrent quelque chose de dur, il vacilla et se rattrapa contre la paroi.
— Par terre.
Antoine s’accroupit. Ses mains agrippèrent un corps recroquevillé. Il se pressa contre elle et leurs bouches se trouvèrent dans l’obscurité.
— Je m’en veux tellement qu’ils t’aient kidnappée à cause de moi. Cela n’aurait jamais dû arriver. Pardonne-moi !
Gabrielle pleurait sans répondre.
— Ils m’ont montré ton doigt…
D’une voix entrecoupée, elle balbutia :
— … Elle a pris plaisir à me le sectionner… En plusieurs fois… Elle s’est même arrêtée pour me parler de toi…
Antoine sentit ses entrailles se nouer de rage.
— … Je hurlais de douleur… elle disait qu’elle regrettait de ne pas t’avoir châtré la dernière fois… C’est son mec qui a eu pitié… Il lui a demandé d’en finir…
Elle éclata à nouveau en sanglots. Antoine lutta pour ne pas se laisser submerger par la haine qui montait.
— Je vais te sortir de là, je te le jure.
Un gargouillement résonna en haut de la citerne. Les parois vibrèrent encore, cette fois sur une tonalité plus grave. Gabrielle se pressa contre lui. Tout son corps tremblait.
— On va mourir !
Le bruit devint plus intense, plus saccadé. Un gargouillement fusa au-dessus de leurs têtes. Antoine sentit des gouttes ruisseler sur son front. Une odeur âcre de chlore se répandait dans l’obscurité.
Soudain, un torrent d’eau jaillit dans la citerne. La force du jet les plaqua au sol.
La voix de la Louve se mêla brusquement au bruit de l’eau.
— La piscine est en train de se vidanger. Il ne faut que cinq minutes pour que la cuve soit pleine.
Dans un bruit d’enfer, de lourds paquets de flotte rebondissaient contre les parois. Le niveau arrivait déjà à hauteur de leurs genoux. Gabrielle hurla de terreur.
Les émanations âcres du chlore brûlaient leurs yeux, pénétraient leurs gorges, enflammaient leurs poumons.
L’eau montait, inexorablement.
Antoine frappait de toutes ses forces contre les parois, mais la cuve était solide. Il refusa de céder au désespoir. Malgré sa peur croissante, il ferma les yeux et se concentra sur un des symboles de la maçonnerie.
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