Le Temple Noir
contrôle de Jérusalem. À qui veux-tu t’adresser ?
— Les Templiers… Eux pourraient venir à notre secours, répliqua un vieux Syriaque. Mais il faudra leur donner tribut.
Plusieurs marchands hochèrent la tête. À la différence des familles franques qui se partageaient le pays, les Chevaliers du Temple avaient une bonne réputation. D’ailleurs, beaucoup de musulmans s’étaient mis sous leur protection. Le jeune Syriaque tourna son regard vers la fenêtre qui donnait sur les vieux quartiers.
— Et si l’on envoyait un infidèle demander du secours, ainsi s’il se fait prendre…
De brefs signes d’approbation saluèrent la subtilité de sa proposition. L’hôte prit la parole :
— J’ai justement un musulman qui travaille pour moi. Un homme de confiance. Je vais l’envoyer aussitôt.
Tarek joignit les mains en guise de remerciement et se rapprocha de ses pairs.
— Quant aux Francs qui ont pris la ville, qu’on leur envoie une déLégation, avec des cadeaux, beaucoup de cadeaux. Considérez cela comme un investissement… à moyen terme.
Un murmure d’assentiment se fit entendre. Le jeune marchand, un sourire fendant son visage, baissa la voix.
— Et faisons-leur savoir que nous achèterons tous les esclaves qu’ils feront dans notre bonne ville.
Fiché contre le mur, Khatani remuait encore. Dans l’obscurité, à peine troublée par la lumière vacillante des chandelles, on entendait un râle qui s’éteignait.
— Qui es-tu ? interrogea Khatani, les yeux fixés sur le nouvel arrivant qui venait d’encocher une flèche à son arc.
— Il y a longtemps que je n’ai plus de nom.
— Tu es un djinn ?
— Ni un vivant, ni un mort. Dieu m’ignore.
Le front de l’imam se barra d’une ride triangulaire. Seuls les démons pouvaient parler ainsi.
— Que veux-tu ?
Le Devin prit son temps pour répondre.
— Une âme et un corps.
Prostré au sol, Maïmonès ne bougeait plus. La main brutale du Devin l’empoigna et le releva sans ménagement.
— C’est toi, le Juif ?
Le rabbin hocha la tête sans pouvoir prononcer un mot. Les yeux dilatés, les mains tremblantes, il fixait sans comprendre cet homme qui venait de surgir et posait d’étranges questions.
— Alors, j’ai mon âme, conclut le Devin.
D’un revers de main, l’Anglais frappa le rabbin sur la nuque. Maïmonès s’effondra. Puis il se tourna vers l’imam et s’approcha de lui. Khatani se tortillait de douleur. Des larmes perlaient sur ses joues, lui qui n’avait plus pleuré depuis longtemps.
— Je suis un homme de Dieu. J’implore ta pitié.
— Dieu et la pitié sont deux mots qui m’écorchent les oreilles, mahométan. Sais-tu que les morts me parlent ?
— Non…
— Ils me chuchotent à l’oreille. Ils ont soif de ton sang. Les damnés aiment la liqueur de vie qui coule dans tes veines.
L’Anglais sortit un coutelas de chasse et trancha le ventre de Khatani. Un sac de viscères tomba sur les dalles.
— Ça va les faire venir.
La bouche tordue sur un cri muet, Khatani s’écroula dans sa propre fange.
— Te voilà devenu un simple corps, laissa tomber le Devin en chargeant Maïmonès sur ses épaules.
8
Londres
Quartier de Temple
De nos jours
Le double rideau de fer descendait doucement derrière les vitrines élégantes de Preston’s, l’adresse la plus courue du royaume en matière de parapluies et d’ombrelles, fournisseur exclusif de Sa Majesté la Reine. Miss Eldridge, Dottie pour ses intimes, tournait consciencieusement la manivelle dorée et observait d’un air dégoûté le ciel sans nuages au-dessus de la capitale. Jamais, en plus de trente ans d’activité, et de mémoire de Londonienne pur jus, elle n’avait connu un temps aussi pourri. Pas une seule bruine, pas une seule averse, un ciel désespérément serein pour un mois de septembre. Elle avait terminé l’inventaire du magasin et fermé la boutique exceptionnellement tard ; de toute façon pas un client n’avait pointé le bout de son nez.
Miss Eldridge accéléra le mouvement, la manivelle grinça de douleur et elle aussi ; depuis les dernières émeutes, le propriétaire avait installé cet affreux rideau de fer grillagé qu’il fallait abaisser à la main chaque soir. Elle lui avait pourtant expliqué que Fleet Street n’était pas la banlieue chaude d’Hackney mais M. Preston restait traumatisé par les images de pillages et d’émeutes de l’été dernier. Elle
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