Le Temple Noir
Tout-Puissant… »
À la vérité, Hughes de Payns avait subtilement agi. Aux artisans qui travaillaient à la reconstruction des lieux il proposa de demander leur affranchissement au comte de Champagne et de les intégrer au Temple naissant. À charge pour eux de bâtir au plus vite la maison commune.
Le cimetière
À travers les cyprès, le soleil jouait à cache-cache avec les tombes. Tantôt éclairant le bois noirci d’une croix, tantôt s’attardant sur un tertre fraîchement remué. Le vent était tombé. Un silence s’étendait qui coulait comme une source invisible. Un vol de colombes qui montaient du sud bifurqua brusquement et plongea vers le mont Sion. Le Devin connaissait l’enchaînement des signes. Les oiseaux étaient les premiers à s’écarter. Au fur et à mesure que les morts se rapprochaient, les animaux disparaissaient. Les lézards, eux, étaient les derniers à fuir. Quand un éclair vert serpentait sur une tombe, un revenant était déjà là. Le Devin recula et se posta contre le mur du cellier. Sans bruit, il s’accroupit et se fondit contre la pierre. Face à lui, les trois coupelles attendaient la venue des ombres.
L’empire des morts était bien différent de ce qu’enseignait l’Église. Pour les prêtres n’existaient que deux mondes définitivement antagonistes : le Paradis et l’Enfer. C’était bien mal connaître la géographie sacrée du royaume des Ténèbres. Avant que d’atteindre au rivage de l’éternité, il y avait un long chemin à parcourir où beaucoup d’âmes s’égaraient, parfois à perpétuité. Le Devin avait croisé bien des esprits, demeurés en souffrance dans les mondes intermédiaires. Certains n’étaient pas parvenus à quitter la terre et erraient parmi les hommes, apeurés et amers. D’autres avaient tenté de s’élever jusqu’à la Lumière, mais avaient échoué à se purifier. Ils demeuraient prisonniers d’eux-mêmes, trop épurés pour la terre, trop souillés pour le ciel.
Un frisson parcourut la surface du lait. Une ride qui trahissait une âme.
Le Devin s’approcha.
Un soubresaut agita la coupelle où se liquéfiait le miel.
Le chevalier gagna le centre du triangle tronqué.
Il n’y avait qu’un seul moyen de retenir une âme.
Le Devin dégagea son poignet.
Le sang.
Les Bains
« Les ouvriers travaillaient jour et nuit. Apprentis, maîtres se relayaient pour offrir à l’ordre du Temple l’écrin de pierre où comme un diamant habilement taillé il brillerait de toutes ses vertus. Devant tant de dévouement et de foi, le roi de Jérusalem Baudoin II, que sa sainte mémoire dure parmi les hommes, agrandit le domaine en le dotant de nouvelles terres… »
Le Grand Maître se prit à sourire. Les terres offertes par le vieux Baudoin n’étaient qu’un désert de cailloux. Aucune végétation n’y poussait. Certains prétendaient que la terre avait été salée par les Romains en guise de malédiction, comme à Carthage. De vieux Juifs pourtant venaient s’y recueillir, en récitant des psaumes. Interrogés, ils furent unanimes pour indiquer qu’en cet endroit désolé s’élevait le Temple de Salomon.
« Devant tant de générosité, Hughes de Payns décida de consacrer ce lieu à la prière et à la méditation et d’édifier une chapelle, où tous les jours seraient célébrées des actions de grâces pour les bienfaiteurs de l’Ordre. Aussitôt, les frères artisans se mirent à l’œuvre pour élever un Temple à Notre-Seigneur…
Sauf que le Temple n’avait ni pierres, ni argent pour une telle construction. C’est alors qu’un des artisans eut une idée. Il avait travaillé à l’agrandissement de la ville de Provins en Champagne où les architectes avaient résolu le problème de l’approvisionnement en pierres, en creusant des carrières souterraines, ensuite utilisées comme réserve ou entrepôt.
« Aymon, frère maçon, réunit quelques frères et leur proposa de forer le sol pour voir si la pierre pouvait être utile à la construction. Tous s’attelèrent à la tâche, déblayant le terrain, charriant les cailloux, mais grand fut leur étonnement, une fois les gravats ôtés, de trouver un large et magnifique pavement en forme de damier. Chaque dalle était de marbre, soit noire, soit blanche. Sauf celle du centre qui était en pierre fruste. Prévenu par Aymon, Hughes de Payns, que son saint nom soit vénéré, ordonna qu’on la soulève. Immense fut
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