Le templier déchu
épaules, la secouer comme un prunier pour lui faire entendre raison. Mais les gardes qui le flanquaient l’agrippèrent fermement et le tirèrent en arrière, lui arrachant un tressaillement de douleur.
Les yeux gris de la jeune femme s’étaient emplis de larmes, mais, aussi forte, entêtée et courageuse que d’ordinaire, elle parvint à les retenir. Elle secoua la tête, l’implorant de ne pas se débattre, puis articula en silence les mots « Je vous aime » avant de se détourner délibérément de lui pour faire face au tribunal.
Le roi et les membres du conseil semblaient aussi déconcertés les uns que les autres. Quant à la foule, elle était stupéfaite, et les gardes armés de hallebardes avaient de plus en plus de mal à la contenir.
La voix du roi s’éleva par-dessus le tumulte, coupante :
— Dame Elizabeth, vous venez d’avouer un crime fort grave. Nous aimerions vous rappeler que si votre culpabilité était avérée, vous encourriez une peine très sévère. En cas de haute trahison, personne n’est épargné, sachez-le. Pas même les personnes du beau sexe.
— Je comprends, sire, répondit-elle d’une voix limpide qui hérissa Alexandre et le désespéra en même temps. Mais je sais également ce que mon époux a déjà enduré pour son pays et son roi. Je ne le laisserai pas se sacrifier ainsi.
Impressionné par son maintien souverain, Alexandre l’entendit ajouter :
— Vous vous souvenez sûrement, sire, que ma mère était anglaise. J’avoue m’être lassée de devoir défendre seule ce château contre les armées supérieures en nombre et en armement de mes propres compatriotes. Ma loyauté s’est détournée de l’Écosse alors que mon mari était en captivité, et lorsqu’il est revenu, il était trop tard pour revenir en arrière.
Alexandre serra les dents. Dieu qu’elle était entêtée, et folle, et si belle dans ses efforts désespérés pour le sauver ! Son cœur débordait d’amour et de peur, et, dans un nouveau sursaut de rébellion, il s’écria :
— Non, sire, c’est faux ! Je le jure ! C’est moi qui vous ai trahi, pas elle !
La foule réagit de plus belle, et le roi parut totalement désarçonné. Il se pinça l’arête du nez, ferma les yeux, et marmonna quelques paroles irritées avant de lever les mains et de jeter :
— Assez !
Un silence de plomb retomba dans la grande salle. La patience n’était pas le fort du roi et, manifestement, il avait atteint ses limites. Il semblait bouillir intérieurement et sur le point d’étriper le premier venu de ses propres mains. Sans même daigner tourner la tête, il demanda d’un ton brusque :
— Lord Lennox, qu’avez-vous à répondre à cela ? C’est vous qui, le premier, nous avez alerté sur les événements qui se sont passés à Dunleavy. Et maintenant, voyez le résultat ! conclut-il en désignant Alexandre et Elizabeth. Nous voulons que tout ceci soit éclairci au plus vite et exigeons la vérité. Alors parlez, et sans délai !
Le comte de Lennox avait pâli. Il se racla la gorge, puis :
— Sire, je... je ne crois pas que dame Elizabeth dise la vérité.
— Si vous ne croyez pas que j’ai trahi mon pays, pourquoi avez-vous levé une armée et assiégé Dunleavy Castle au cours des six derniers mois ? riposta Elizabeth.
— Vous avez assiégé Dunleavy sans notre permission, Lennox ? articula le roi.
Lord Lennox se tassa sur sa chaise. Robert Bruce ne l’avait toujours pas gratifié d’un regard, il n’avait pas élevé la voix, mais il avait prononcé son nom d’un ton qui ne présageait rien de bon. Debout, face à la foule, les mains croisées dans le dos, il s’était raidi sous l’outrage, et sa rage était telle que s’il avait tourné ses yeux flamboyants vers le comte, celui-ci aurait à coup sûr disparu en fumée.
Ce dernier ouvrit la bouche, pour la refermer aussitôt, et Alexandre se souvint qu’il avait eu une réaction similaire au cours de leur altercation à Dunleavy, durant le banquet.
— Répondez ! tonna soudain le roi dont l’injonction se répercuta sur les murs de la salle.
Lennox parvint à bredouiller :
— Je... j’ai en effet assiégé Dunleavy Castle, sire, mais c’était pour prêter main-forte à dame Elizabeth après avoir entendu une rumeur selon laquelle son époux était mort en captivité. J’affirme que lorsque son intendant est venu me trouver pour me faire part de son inquiétude et de ses soupçons de
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