Le temps des illusions
désormais « Maman-putain ». Mais aujourd’hui, la marquise triomphe.
Le théâtre des petits cabinets
La faveur de Mme de Pompadour ne faiblit pas. Le roi ne cache pas les sentiments qu’elle lui inspire. On le voit même badiner avec elle en public et ces privautés ostensibles ne manquent pas de choquer la Cour. Mme de Pompadour invente sans cesse de nouveaux divertissements pour tenir en éveil la passion du monarque. L’année dernière, elle a eu l’idée de se produire sur scène, devant lui, comme elle le faisait jadis sur le théâtre d’Étiolles. Formée par les meilleurs maîtres, elle a de réels talents d’actrice, de chanteuse et de danseuse. Apparaître aux yeux de son amant sous les travestis les plus flatteurs, mettre en valeur son corps et sa voix ne manquerait pas d’entretenir la flamme de cet homme si facilement blasé. Au reste, Mme de Pompadour prend un extrême plaisir à renouer avec des jeux qui font fureur dans la bonne société. Depuis qu’elle est à Versailles, elle va rarement à Paris et ne suit plus l’actualité théâtrale comme naguère. Elle doit se contenter des spectacles donnés tous les mercredis dans la salle de la cour des Princes par les Comédiens-Français, les Comédiens-Italiens et les artistes lyriques de l’Académie royale de musique. Mais ces acteurs jouent avec plus de retenue devant ce public que devant celui de la Ville. Les représentations sont nombreuses et brillantes mais il n’y a plus de créations à Versailles, comme du temps deLouis XIV. On n’y donne que des spectacles assez conventionnels. Lamarquise a la nostalgie de la chaude ambiance des salles parisiennes et des interminables discussions suscitées par les pièces nouvelles. Dès son installation à la Cour, elle a voulu inspirer le goût du théâtre au roi, qui n’a jamais manifesté beaucoup d’intérêt aux spectacles. Il acquiesçait aux propositions des gentilshommes ordinaires de la Chambre, chargés de les organiser, mais les souhaits de sa maîtresse ont bientôt prévalu sur les leurs. Sous son influence, en deux ans, le répertoire a évolué. On ne joue pas davantage de tragédies, genre passé de mode, mais on remplace les comédies deMolière par celles d’auteurs contemporains qui ont la faveur du public,Dancourt,Regnard,Dufresny,Destouches… mais très rarementMarivaux. En revanche, on joue volontiers les œuvres deVoltaire.
Pendant le carême de 1746, le roi permit à sa maîtresse de donner chez elle des concerts spirituels, où elle chanta des morceaux de musique religieuse. Elle prouvait ainsi que ses talents artistiques pouvaient contribuer au recueillement de circonstance. Séduit une fois de plus par les incomparables grâces de sa favorite, le roi finit par céder à ses prières. Il l’autorisa à monter des spectacles devant un public restreint qu’il se réservait le droit de choisir avec elle.
Dans le plus grand secret, la marquise organise sa troupe, dont elle donne la direction au duc de La Vallière, fin lettré, amateur de théâtre et, comme l’on sait, habitué des coulisses de la capitale.Moncrif, membre de l’Académie française, lecteur de lareine et protégé de LaVallière, est nommé sous-directeur de la compagnie, qui comprend plusieurs sociétaires. Au premier rang des femmes figure tout naturellement la favorite, suivie par la duchesse douairière deBrancas, âgée de trente-huit ans, par la ravissanteMme Trusson, femme de chambre de ladauphine, par Mmes dePons, deSassenage et deLivry ainsi que par Mme deMarchais, fille du fermier général Laborde et belle-fille de Binet de Marchais, valet de chambre du roi. Parmi les hommes, on compte Louis-Philippe, duc deChartres, petit-fils duRégent, le duc deNivernais et le duc deDuras, le comte deMaillebois, le marquis deCourtenvaux, le duc deCoigny, le marquis d’Entraigues, et quelques autres.
Le plus sérieusement du monde, Mme dePompadour a rédigé les statuts de son théâtre que le roi a approuvés. Pour entrer dans la troupe, il faut avoir fait ses preuves sur une autre scène. L’emploi attribué à chaque comédien est définitif, et il est impossible à qui que ce soit de renoncer à interpréter un rôle sous prétexte qu’il ne lui convient pas. Les femmes jouissent de privilèges exorbitants. Elles imposent les ouvrages que l’on représentera ; elles décident du nombre des répétitions, en fixent les horaires ainsi que le taux des amendes pour les
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