Le temps des illusions
comédiens retardataires. Enfin, elles choisissent la date de la représentation publique.
La marquise n’a pas l’intention de ne mettre en scène que des comédies ; elle envisage d’emblée de monter des divertissements musicaux, des ballets et même des opéras. On compose donc un orchestre, mêlant amateurs et professionnels. Parmi ces derniers, elle a recrutéMondonville, maître de musique de la chapelle du roi, et le célèbre chanteurJélyotte, qui n’est pas appelé à chanter, mais à jouer du violoncelle ! Les choristes sont pratiquement tous des professionnels ainsi que les membres du corps de ballet, mais les danseurs étoiles se recrutent parmi les proches de la marquise. Les ateliers des Menus-Plaisirs 9 , qui réalisent décors et costumes, fournissent aussi les innombrables accessoires. Enfin, l’abbé deLaGarde, bibliothécaire de la marquise, détient la fonction de souffleur.
Les répétitions commencèrent à Choisy au mois de décembre 1746 et le premier spectacle eut lieu à Versailles le 16 janvier dans la galerie donnant sur l’escalier des Ambassadeurs. Pendant les entractes, les acteurs se retiraient et se changeaient dans le cabinet des Médailles. Pour l’inauguration de son théâtre, la marquise voulut monter Tartuffe , où elle interpréta le rôle de Dorine devant une assistance très restreinte. Les billets d’entrée dessinés parCochin furent distribués avec parcimonie. Le roi, qui avait désigné personnellement les quatorze invités, trônait sur une simple chaise. Seuls les amis de lamarquise et quelques rares élus purent applaudir l’artiste-vedette, car, privilège exceptionnel,Louis XV permit qu’on battît des mains en sa présence, ce qui ne se fait jamais. Ce numerus clausus fit grincer bien des dents. Le prince deConti, que le roi aime bien, se vit refuser un billet d’entrée, de même que le maréchal deNoailles, le comte deNoailles, son fils, et quelques autres grands seigneurs. En principe, ledauphin lui-même n’était au courant de rien. Cela ne fit qu’aggraver son ressentiment à l’égard de la maîtresse de son père.
Le lundi suivant, la marquise et sa troupe jouèrent deux aimables comédies, Le Préjugé à la mode de La Chaussée et L’Esprit de contradiction deDufresny. Après la représentation, on soupa chez le roi, qui donna un petit bal où il se lança dans des contredanses. La marquise dansa un menuet avec M. Clermont d’Amboise. Cette nouvelle institution de caractère privé que préside la favorite intrigue la Cour. Lareine est irritée que sonlecteur en soit membre sans avoir demandé son autorisation. Le dauphin et ses sœurs se considèrent bafoués, une fois de plus, par leur père et sa favorite. Quant aux courtisans, ils restent dans l’expectative, espérant qu’un jour, les portes de ce nouveau cénacle leur seront miraculeusement ouvertes.
Les fêtes du mariage princier interrompirent ces spectacles qui ne reprirent que le 27 février, en présence des jeunes mariés ulcérés. On donna ce soir-là Les Trois Cousines, comédie deDancourt, où Mme de Pompadour se surpassa dans le rôle de Colette. Mais elle ne s’en tint pas là. Avec le duc d’Ayen, elle chanta dans Les Amours déguisées , ballet-opéra deBourgeois qui n’obtint qu’un médiocre succès, en dépit de sa jolie voix et des performances chorégraphiques de MM. deCourtenvaux et deLuxembourg. Le 13 mars, on redonna Les Trois Cousines , qui furent cette fois suivies d’une véritable création, celle d’ Érigone , opéra en un acte.Louis XV en fut si charmé qu’il voulût qu’on le rejouât pour la reine. Il insista auprès de son épouse pour qu’elle acceptât d’honorer de sa présence le théâtre des petits cabinets.Marie ne pouvait refuser. Le samedi 18 mars, accompagnée par ledauphin et les princesses (à l’exception de ladauphine, qui se prétendit indisposée), elle s’installa sur une chaise à côté de son époux et assista au triomphe de Mme de Pompadour, excellente dans Le Préjugé à la mode, dont le sujet était scabreux, étant donné les circonstances : la pièce mettait en scène un mari amoureux craignant de faire paraître ses sentiments, l’amour conjugal étant aujourd’hui considéré comme le comble du ridicule ! La reine applaudit la maîtresse du roi. Parfaite comédienne à sa manière, elle feignit d’être satisfaite. C’est dans ces circonstances qu’eut lieu la révolte de la jeune
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