Le temps des illusions
homosexuels connus à Paris. Les plus grands noms côtoient ceux des laquais.
Deschauffoursn’était pas connu des services de police. L’homme était trop rusé pour se faire prendre. L’affaire éclata au mois de juillet 1725 lorsque Mme Finet, qui tenait un commerced’horlogerie, vit revenir son fils en larmes, le visage blême, ses vêtements déchirés et tachés de sang. Elle l’aida à se déshabiller et lorsqu’elle voulut lui enlever sa culotte, il poussa des hurlements.Hilaire Finet, âgé de seize ans, apprenti horloger chez sa mère, avait été livrer une montre chez un nouveau client, particulièrement affable et qui avait tout l’air d’un gentilhomme. Celui-ci reçut le jeune homme et insista pour qu’il bût un verre de vin avec trois amis qui dînaient à sa table. Très intimidé, Finet n’osa pas refuser l’invitation. Mais dès qu’il eut avalé quelques gorgées, il sombra dans un profond sommeil. Lorsqu’il revint à lui, il était couché par terre, son habit et ses culottes déchirés et pleins de sang. Deschauffours, d’un air courroucé, l’accusa de s’être enivré et mal conduit avec ses amis. Il le chassa de chez lui. La pauvre Mme Finet n’en croyait pas ses oreilles. Elle fit venir un chirurgien qui déclara que Hilaire avait été violé et « connu charnellement contre nature ». Il rédigea un rapport de sa visite et conseilla à Mme Finet de porter plainte, ce qu’elle fit dès le lendemain.
L’information commença aussitôt et Deschauffours fut arrêté. Changeant de nom et d’adresse, il pratiquait le commerce de garçons depuis sept ou huit ans. Il tenait chez lui une véritable agence de placement pédérastique, mettant en rapport des garçons ramassés dans la rue ou appartenant à de très humbles milieux avec de grands seigneurs de toute l’Europe qui venaient se fournir en jolis petits Parisiens. Il en avait testé lui-même les aptitudes aux jeux du sexe ; si ce n’était lui, ses valets l’avaient remplacé. Des rencontres avaient lieu dans son appartement de la rue Poupée. Les clients venaient choisir et même essayer ceux qui conviendraient le mieux à leur plaisir. Ils fixaient le prix avec Deschauffours, qui en connaissait parfaitement la valeur. Cette « marchandise », car, pour Deschauffours, ces jeunes gens n’étaient que de la chair fraîche à consommer, cette « marchandise » coûtait cher parce qu’elle était rare. Il fallait que le garçon soit joli de sa personne, bien bâti et qu’il se laisse faire. Certains étaient vendus par leurs parents et se comportaient docilement ; il en allait de même pour ceux qui étaient attirés par l’appât du gain et par la perspective d’une vie qui leur semblait plus agréable que la leur. Que peuvent espérer les petits décrotteurs de souliers, les gagne-deniers, les ramoneurs ? Mais l’entreprise deDeschauffours ne pouvait être rentable que s’il offrait un large choix à ses clients. Il avait misen place un réseau de traite d’enfants, dont son procès n’a révélé qu’un infime partie, et qui fut sans doute beaucoup plus important. Il enlevait même des enfants de sept ou huit ans qu’on ne retrouva jamais. Il tua l’un d’eux, en fit émasculer un autre qui succomba à une opération abominable pratiquée sur la table de sa cuisine.
Au nom du roi, M. leDuc avait dessaisi la justice ordinaire pour recourir à une procédure d’exception. Deschauffours et ses quatre complices furent traduits devant une commission spéciale composée du lieutenant de police, de quelques conseillers au Châtelet ainsi que du procureur du roi. Deschauffours commença par nier tous les crimes qu’on lui imputait. Il finit par se rétracter et ses juges le condamnèrent à la peine du bûcher pour sodomie le 24 mai 1726. Bien qu’officiellement condamné pour sodomie, ce fut en réalité pour ses « crimes abominables » qu’il fut exécuté et non pour ses mœurs. On a condamné l’assassin, mais brûlé le sodomite.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas
À Versailles, on se souciait peu de Mme deTencin, deVoltaire et des turpitudes de Deschauffours. Soutenu par le roi, qui a toute confiance en ses lumières, M. deFleury préparait son élévation au rang de Premier ministre sans en avoir le titre. Le plan du maître et de son royal élève était prêt depuis plusieurs semaines. Un secret si bien gardé étonna la Cour plus encore que le renvoi de M.
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