Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le temps des illusions

Le temps des illusions

Titel: Le temps des illusions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
Vom Netzwerk:
« toute-puissance du prélat durera autant que sa vie et que son règne sera sans mesure et sans trouble. Il a su lier le roi par des liens si forts qu’il ne pourra jamais les rompre ». Ce vieux prêtre qui s’est retiré chez les pères de la Doctrine chrétienne prétend connaître ce qui attache tant le prince à son mentor 1 . Le secret ne semble pas si difficile à percer. Avec sa douceur jésuitique, M. de Fleury a donné à son pupille une rigoureuse éducation religieuse. Dès qu’il fut sous sa tutelle, il fit entrevoir à l’enfant capricieux les foudres de l’enfer et l’assura que seule une vie exempte de péché le préserverait des tentations de Satan. Sans être son directeur de conscience, M. de Fleury est devenu son guide spirituel. Du spirituel, il est aisément passé au temporel. Porteur de la parole de Dieu au lieutenant de Dieu sur la terre qu’est le roi, il s’est imposé comme son berger en ce monde. Jaloux de son crédit auprès d’un prince encore adolescent, il l’a mis en garde contre le pouvoir des femmes et même dela sienne, qui est pourtant la vertu incarnée. Il n’a pas hésité à faire sentir à la reine le poids de son autorité. Elle se souvient amèrement du billet qu’elle a reçu de son époux. Depuis lors Louis la délaisse et elle ne sait pas comment le ramener vers elle. Sensible, pieuse, trop modeste, elle l’adore comme un exécuteur de la volonté divine, lui parle d’un ton soumis ; elle ne saura pas devenir la maîtresse dont il aurait besoin, ce dontFleury se réjouit.
    Le souverain semble indifférent à tout ce qui l’entoure. Il parle peu, se dérobe au regard des autres et n’aime guère le rituel de la Cour. Il manque d’enthousiasme excepté pour la chasse. Il peut courre le cerf jusqu’à onze heures du soir et se plaît aux longs soupers de chasseurs. M. de Fleury l’a encouragé dans ce passe-temps considéré comme la distraction royale par excellence, substitut de la guerre, mais il s’ennuie. Personne ne sait quel intérêt il porte aux affaires du royaume. Sur ce sujet, il se montre encore moins disert que sur le reste. Seul M. de Fleury peut avoir une idée de ses capacités réelles.
    Lorsquele pape l’aura nommé cardinal – ce qui ne saurait tarder –, Mgr de Fleury pourra ès qualités présider le Conseil. En attendant, il reçoit les ministres dans son cabinet et le roi approuve ce qu’il décide. Aujourd’hui aucun prince ne peut gêner son action. Les Condés sont exilés et ce n’est pas leduc d’Orléans, pieux janséniste si différent de son pèrele Régent, qui risque de lui faire de l’ombre. Bien qu’il soit l’héritier du trône tant que la reine ne donnera pas un dauphin à la France, il ne briguera pas le pouvoir. NiRichelieu niMazarin n’ont connu une aussi grande liberté.
    Autrement dit l’avenir dépend de Mgr de Fleury qui a… soixante-treize ans. C’est un maître en casuistique ; il a l’esprit délié et sait présenter ses projets sous un jour aimable d’où lesérieux n’est jamais absent. Tout laisse à penser qu’il persuadera le jeune monarque de la justesse de ses idées pour le gouvernement du royaume. Mais seront-elles celles qu’il convient d’adopter ? Un prélat de son âge, très lié aux Jésuites et l’un des rares survivants actifs du règne précédent, n’est sûrement pas un esprit novateur. Aux yeux du monde, il apparaît comme un sage, un « honnête homme » comme on disait au siècle précédent. Son mépris des richesses et des honneurs lui attire le respect. Sa lente ascension depuis que Mme deMaintenon l’a soutenu jusqu’à la liquidation expéditive de M. leDuc montre qu’il sait attendre, ne jamais prendre de décision sans mûre réflexion.

    Le vieillard au travail, le roi à la chasse et la reine au lit
    La disgrâce de M. le Duc et l’exil desPâris causa un immense plaisir aux Parisiens. Il fallut leur interdire d’allumer des feux de joie afin de ne pas troubler l’ordre public. Des polissons placardèrent des affiches sur lesquelles on pouvait lire : « Cent pistoles à gagner : Il a été perdu depuis peu sur le chemin de Chantilly, une grande jument de prix qui suivait un cheval borgne. » La ville en rit encore.
    La liesse a redoublé lorsque Fleury a aboli l’impôt du cinquantième si décrié. Il a renvoyé presque tous les ministres de M. le Duc et les a remplacés par des hommes qui lui sont tout dévoués : les

Weitere Kostenlose Bücher