Le temps des illusions
on ouvre les portes et on voit ce beau vieillard enlever sa culotte qu’il plie soigneusement tandis que son valet lui passe sa chemise et une vieille robe de chambre ; il peigne alors ses cheveux blancs, raisonne et « débite quelques plaisanteries entrelardées de discours mielleux et communs 3 ».
L’abbéPolet, confesseur deSon Éminence, est désormais un personnage important. Dans son petit parloir froid et humide au rez-de-chaussée de l’église Saint-Nicolas-du Chardonnet, des femmes titrées, des ministres font antichambre : ils viennent solliciter des bénéfices ecclésiastiques pour leurs parents. Ce prêtre vertueux, mais grand ennemi des jansénistes, fier de son influence auprès du cardinal, facilite bien des nominations à l’intérieur de l’Église de France.Barjac, son valet de chambre, s’attribue lui aussi un rôle important. Il tient grand état de maison et le cardinal dit parfois lorsque sa table est trop pleine : « Allez donc dîner chez Barjac. » Celui-ci affecte un ton d’égalité avec les grands. On le supporte parce qu’il peut intervenir auprès de son maître. Les courtisans ne doivent pas ignorer ces deux nouvelles puissances.
Les sœurs rivales
Avec un cardinal ô combien respecté par le monarque, la Cour ne ressemble ni à celle du feu roi, ni à celle de la Régence. On y respire un air de vertu ennuyeuse malgré la jeunesse des souverains. Le service des Menus-Plaisirs organise des fêtes sans fantaisie. D’aucuns se prennent à espérer que le roi prendra une maîtresse pour réveiller le palais qui sommeille. Il n’y a pas de Belle au bois dormant mais le plus beau des rois que l’amour n’a pas encore touché. Louis reste sage. Il se plaît plus dans la société ducomte et de lacomtesse de Toulouse à Rambouillet qu’au milieu de ses courtisans. Auprès de ce prince légitimé dépourvu d’ambition et de son épouse Marie-Victoire de Noailles, veuve du marquis de Gondrin, il se sent parfaitement à son aise, on pourrait dire en famille. LesToulouse, mariés tardivement après une discrète liaison, forment un ménage exemplaire. Ils ont vécu à l’écart de la cour duRégent et loin des intrigues de la cour de Sceaux. Les relations entre les deux frères ont toujours été distantes et la redoutableduchesse du Maine n’a jamais inspiré beaucoup d’amitié à son beau-frère. La comtesse de Toulouse, qui porte joliment ses quarante ans, reste une fort belle femme dont le profond regard brun attire d’emblée la confiance et la sympathie. Elle a toujours reçu avec grâce le royal adolescent qui lui a voué une affection toute filiale. Elle l’a initié aux belles manières et au beau langage. Elle a combattu sa timidité de jeune homme et il a acquis auprès d’elle l’aisance qui lui faisait défaut. Les journées qu’il passe à Rambouillet sont pour lui de véritables vacances. Il chasse tout l’après-midi, joue au trictrac ou au cavagnole le soir, et fait honneur à la table de la princesse avec son appétit bourbonien. Il se montre toujours sensible au génie du lieu, à ses plaisirs délicats et à ses galanteries paresseuses. Toute la société réunie à Rambouillet a parachevé son éducation faite uniquement par des hommes.
Cette cour dont la magnificence rappelle celle deLouis XIV est un refuge mondain qui ne ressemble pas à celle de Sceaux. On y respecte la religion sans bigoterie, on parle librement mais on ne fait pas assaut de bel esprit comme chez Mme du Maine. Jamais on ne se permet de tenir des propos trop lestes et Mme de Toulouse n’admettrait jamais chez elle le genre de parties qui se tenaient chez le Régent. Elle maintient la grande tradition aulique dépouillée de tout ce qu’elle pouvait avoir de contraignant. Malgré ses principes, elle reçoit volontiers Mlle deCharolais, l’une des sœurs de M. leDuc. Un vrai diable cette princesse et l’une des plus grandes libertines du royaume. Mme de Toulouse a pour elle beaucoup d’indulgence, mais Mlle de Charolais se tient bien à Rambouillet. Le roi se plaît à écouter ses récits légers pimentés de quelques traits licencieux sans pourtant s’écarter du bon ton. Rambouillet est jusqu’à maintenant la petite thébaïde du monarque. Il n’y conduit pas la reine.
Lecardinal n’a jamais éprouvé d’animosité à l’égard des légitimés. La faveur de Mme deMaintenon lui avait fait naguère embrasser leur parti à la mort du feu roi et il a
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