Le temps des illusions
bénédictins de Saint-Maur et il a prononcé ses vœux en 1721. Il passe son temps à faire des recherches à la bibliothèque du couvent. Ces travaux lui laissent des loisirs. Il a commencé àécrire une sorte de roman-fleuve, les Mémoires et Aventures d’un homme de qualité . D’après ce qu’on en dit, il ne s’agit pas d’un ouvrage édifiant, mais plutôt d’un livre scandaleux. L’œuvre n’est pas encore achevée, mais un épisode particulièrement émouvant, L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut , semble directement inspiré par les aventures de cet étrange bénédictin : il raconte à la première personne la folle passion d’un jeune prêtre pour une prostituée envoyée à la Louisiane et qu’il suit dans ces terres inconnues où elle mourra d’épuisement. Bien que ce soit le chevalier des Grieux (Prévost) qui raconte son histoire, les lecteurs s’intéresseront davantage à Manon, cette fille perdue embarquée de force vers le Nouveau Monde. Personne n’a oublié les charrettes qui transportaient ces malheureuses jusqu’au Havre pour peupler le Mississippi. 5 Incapable de surmonter sa passion qu’il considère « comme un de ces coups particuliers du destin qui s’attache à la ruine d’un misérable », il ne condamne jamais son amour pour Manon, source de ses voluptés et de son malheur. C’est un coup d’œil cruel sur la société de la Régence que sublime Prévost par la force de son évocation.
Échos et ragots
Romans et joutes littéraires n’intéressent ni le roi ni lecardinal. L’un veut à tout prix donner un dauphin au royaume et l’autre tient fermement le timon des affaires.
À Versailles on s’est beaucoup ému du sort des légitimés. Le roi leur a rendu le statut de prince du sang pour eux et leurs descendants, mais ils restent écartés de la succession au trône. La paix est donc rétablie au sein de cette famille royale recomposée par des alliances bien compliquées. Cependant, la grande nouvelle qui agitait la Cour était assurément la grossesse dela reine qui fut annoncée au mois de mai 1727. On commençait à se demander si cette modeste Polonaise était capable de donner des héritiers au trône. L’heureuse nouvelle ravit les deux époux, qui se prirent à espérer la naissance d’un dauphin. L’accouchement était prévu pour la mi-septembre, mais le 13 août, après avoir mangé dumelon glacé et des figues, la reine fut prise de vomissements. Son médecin crut qu’il s’agissait d’une indigestion, mais les douleurs de l’accouchement commencèrent le lendemain à l’aube. Rien n’était prêt pour cette naissance. On prévint le roi en toute hâte ; il accourut au chevet de son épouse et lui prit la main tandis qu’arrivaient dans la chambre les princes, les princesses, le cardinal et tous les courtisans qui avaient été prévenus, l’accouchement des reines étant public. Marie ayant tenu à ce qu’une messe fût célébrée dans sa chambre, on dressa un autel de fortune et des prêtres officièrent. À dix heures quinze, l’accoucheur mit au monde un enfant. Toute l’assistance attendait le cœur battant la révélation du sexe… C’était unefille. Déception ! Cependant, le praticien déclara qu’il y avait un autre enfant. À la surprise succéda une nouvelle désillusion. C’était uneseconde fille. On n’attendait guère de jumeaux, encore moins des jumelles. Épuisée, Marie pleura de n’avoir pas donné un fils au royaume, mais le roi se déclara très heureux. Père de deux nouveau-nés à dix-sept ans, n’était-ce pas une performance, la reconnaissance de sa puissance virile ? Il a donné rendez-vous à l’accoucheur pour l’année prochaine et n’a pas décommandé les fêtes prévues pour la naissance d’un dauphin. Cependant, les médecins ont priéLouis XV de ne pas honorer son épouse avant plusieurs semaines afin qu’elle soit parfaitement apte à porter un nouvel enfant. Au mois d’octobre,la reine a envoyé au prieuré de Conflans-Sainte-Honorine près de Pontoise un corset et une chemise et fait dire une messe. Il y a en effet dans ce sanctuaire une grosse chaîne de fer emportée par la sainte lorsqu’elle fut délivrée de l’esclavage où elle se trouvait réduite. Les femmes qui veulent obtenir une heureuse délivrance viennent ceindre cette chaîne… Religion et superstition restent étroitement liées.
La nouvelle de la mort de Mme dePrie survenue le
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