Le tombeau d'Alexandre
avait été prisé dans tout le Bassin méditerranéen à l’époque d’Alexandre. Il rivalisait avec celui de Delphes. Certains diraient même qu’il le surpassait. D’après la légende, Héraclès s’y était rendu et Alexandre avait prétendu en être le descendant direct. Persée était également allé consulter l’oracle. Et il était associé à l’Empire perse, qu’Alexandre avait conquis. Cimon, un général athénien, avait envoyé une délégation à Siwa pour savoir si le siège qu’il avait établi devant Chypre connaîtrait une issue favorable. L’oracle avait refusé de répondre et s’était contenté de dire que la personne qui avait posé la question était déjà auprès de lui. À leur retour, les émissaires avaient appris que Cimon était mort le jour où ils avaient consulté l’oracle. Pindare avait écrit un hymne à la gloire de ce dernier et, après lui avoir demandé de lui faire connaître la plus grande bénédiction de l’homme, il était mort sur le coup. Mais l’épisode le plus marquant était sans doute l’invasion de l’Égypte par le roi perse Cambyse. Celui-ci avait envoyé trois armées : une en Éthiopie, une à Carthage et une autre dans le désert de Siwa. Mais celle de Siwa s’était volatilisée. Elle n’avait jamais été retrouvée, malgré de nombreuses recherches. On raconte qu’Amon aurait protégé son oracle en faisant naître une tempête de sable ou un vent brûlant, le quibli, qui pouvait souffler pendant plusieurs jours d’affilée, voire les deux en même temps, un phénomène redouté par les Bédouins les plus aguerris au désert.
— C’est par là que les prêtres descendaient ? demanda Gaëlle.
— Le grand prêtre a accueilli Alexandre en l’appelant o pai Dios, répondit Elena, ce qui signifie « le fils de Dieu ».
Elle eut un petit rire méprisant.
— Savez-vous, ajouta-t-elle, que Plutarque pensait qu’il avait dit en réalité o paidion, « mon enfant » ? Ha ! Il fallait être gonflé pour appeler Alexandre « mon enfant ».
— Sauf si c’était Zeus qui parlait par la bouche du prêtre.
— Oui, évidemment...
— Comment fonctionnait l’oracle ?
— Les prêtres transportaient un omphalos, la manifestation physique d’Amon, dans une barque de procession dorée, ornée de pierres précieuses, pendant que de jeunes vierges chantaient. Le grand prêtre lisait les questions des suppliants et Amon y répondait en avançant ou en reculant. Malheureusement pour nous, Alexandre a obtenu une audience privée. Nous ne savons donc pas avec certitude ce qu’il a demandé ni ce qu’Amon lui a dit.
— Je croyais qu’il avait posé une question concernant les meurtriers de son père.
— D’après certaines sources, il a demandé si tous les meurtriers de son père avaient été châtiés. L’oracle lui aurait dit que la question était sans importance puisque son père était divin et ne pouvait donc pas être tué. Mais il a tout de même répondu par l’affirmative. Cela dit, cette histoire est probablement apocryphe. Tout ce que l’on sait, c’est qu’Amon est ensuite devenu le dieu préféré d’Alexandre, qui a envoyé des émissaires à Siwa quand Héphaïstion est mort et a demandé à être enterré près de l’oracle.
— Les prêtres de l’oracle ont dû être contrariés de voir Alexandre se faire enterrer à Alexandrie alors qu’ils étaient censés récupérer sa dépouille.
— Ptolémée a apaisé leur chagrin. Lors de ses voyages, Pausanias a vu une stèle faisant part de ses regrets, ainsi que des présents.
Gaëlle grimpa sur un mur en ruine, aussi haut que possible. Le paysage n’était pas le même qu’en Europe, où les collines et les montagnes étaient poussées vers le haut par la pression géologique. Toute cette zone avait jadis été un haut plateau de grès, dont la majeure partie s’était effondrée. Les collines qui restaient étaient les dernières survivantes de cette époque-là. Gaëlle se tourna face au nord. El-Dakrour se trouvait à l’est. À l’ouest, s’étendaient le grand lac salé et la ville de Siwa. En face, l’air était si pur qu’elle voyait des crêtes sombres à travers ses jumelles, à des kilomètres de là. Le sable était transpercé de pointes rocheuses, d’un brun jaune comme de la nicotine, dont certaines n’étaient pas plus hautes qu’une petite voiture et d’autres se dressaient vers le ciel comme des tours
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