Le tombeau d'Alexandre
Il tendit la main pour prendre le passeport de Knox et l’emporta avec lui. Il n’y avait pas beaucoup de circulation. Les autres soldats bavardaient autour d’une radio, leur fusil mitrailleur nonchalamment suspendu en bandoulière. Knox garda la tête baissée. Il y en avait toujours un qui venait se vanter de parler anglais.
Un grand insecte vert marchait lentement sur le rebord de sa vitre baissée. Une chenille. Non, un mille-pattes. Knox posa le doigt en travers de sa route et l’animal grimpa sans hésiter en lui chatouillant la peau avec les pattes. Il leva la main au niveau de ses yeux pour le regarder avancer. Le mille-pattes ne s’était pas rendu compte qu’il avait été détourné, inconscient de la précarité de sa situation. Knox le considéra avec un sentiment de fraternité tandis qu’il tournait autour de son poignet. En Égypte ancienne, les mille-pattes avaient joué un rôle très symbolique. Ils étaient associés à la mort, mais de façon positive, car ils mangeaient les insectes microscopiques qui se nourrissaient de cadavres. Ils étaient donc considérés comme les protecteurs du corps humain, qu’ils préservaient de la décomposition, un des attributs d’Osiris lui-même. Mais ce n’était pas là leur seule vertu. On leur reconnaissait aussi le mérite de fertiliser les terres, qui, sans eux, auraient été abandonnées aux vers de terre. Et comme ils piquaient, ils étaient invoqués contre les serpents, les scorpions et autres créatures venimeuses. Knox tapa doucement la main contre la portière de sa jeep et l’animal tomba par terre. Puis il se pencha par la fenêtre pour le regarder ramper, jusqu’à ce qu’il en perde la trace dans l’obscurité.
Dans la cabane, l’officier lisait son passeport et communiquait les renseignements par téléphone. Il raccrocha le combiné, assis sur son bureau, et attendit qu’on le rappelle. Plusieurs minutes passèrent. Knox regarda autour de lui. Personne d’autre n’était retenu ; juste une inspection rapide et un geste de la main en signe de laissez-passer. Le téléphone finit par sonner. Knox observa avec appréhension l’officier, qui décrocha pour répondre.
Chapitre 4
Une église, au nord de Thessalonique, Grèce du Nord
I
— Le bélier que tu as vu, et qui avait des cornes, ce sont les rois des Mèdes et des Perses , psalmodia le vieux prêtre, qui lisait la Bible à voix haute depuis sa chaire. Le bouc, c’est le roi de Javan. La grande corne entre ses yeux, c’est le premier roi.
Il marqua un temps d’arrêt et enveloppa les nombreux fidèles du regard.
— Tous les exégètes vous diront la même chose, affirma-t-il en se penchant légèrement en avant et en baissant la voix, comme pour faire une confidence à son auditoire. Le bélier dont parle Daniel est le roi perse Darius. Et le roi de Javan est Alexandre le Grand. Ces versets évoquent la défaite des Perses face à Alexandre. Savez-vous quand Daniel les a écrits ? Six cents ans avant la naissance du Christ, deux cent cinquante ans avant la naissance d’Alexandre lui-même. Deux cent cinquante ans ! Pouvez-vous ne serait-ce qu’imaginer ce qui va se passer dans le monde dans deux cent cinquante ans ? Daniel, lui, l’a su.
Nicolas Dragoumis écoutait en hochant la tête. Il connaissait le texte du vieux prêtre mot pour mot. Il en avait écrit une bonne partie et ils avaient répété ensemble jusqu’à ce que chaque mot soit parfait. Mais on ne pouvait jamais savoir quelle portée aurait un texte avant de le soumettre à son auditoire. C’était leur première soirée et, pour le moment, tout se passait bien. L’ambiance était primordiale. C’était pour cette raison qu’ils avaient choisi cette vieille église, bien qu’il ne s’agisse pas d’un service religieux officiel. La lumière de la lune traversait les vitraux ; une chouette hululait dans les chevrons ; une porte épaisse séparait l’assistance du monde extérieur. L’encens saisissait les narines et couvrait l’odeur de sueur des honnêtes travailleurs. Le seul éclairage provenait d’une rangée de cierges blancs. Il faisait juste assez clair pour que les fidèles puissent vérifier dans leur propre bible que ces versets figuraient bien au chapitre 8 du livre de Daniel, comme le prêtre le leur avait dit, mais suffisamment sombre pour préserver une impression de sacré, d’inconnu. Dans cette région du monde, on savait que les choses étaient plus
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