Le tombeau d'Alexandre

fenêtre.
    — J’ai réservé une table, annonça-t-il. Je ne voudrais pas vous presser, mais...
    — Si vous ne sortez pas immédiatement, j’appelle la sécurité.
    — Faites ce que bon vous semble.
    Lorsqu’il lui tendit le téléphone, elle sentit son estomac se nouer. C’était un de ces vieux appareils à cadran. Elle fit le premier chiffre, dans l’espoir que cela suffise. Mais il ne cilla pas et garda sur les lèvres le même sourire suffisant. Le cadran retourna à sa position initiale avec un ronronnement métallique. Elle fit le deuxième chiffre. Contre sa joue, le combiné était froid. Elle mit le doigt dans un autre trou pour faire le troisième chiffre mais, à ce moment-là, son bras ne répondit plus, comme si tous ses muscles s’étaient subitement atrophiés.
    Il s’approcha, lui prit le combiné des mains et raccrocha.
    — Vous avez sans doute envie de vous rafraîchir. Je vous attends en bas.
     
    IV
    — Nous l’avons trouvé, déclara Nessim.
    Après tant de déceptions, Hassan sembla un peu déconcerté et garda le silence un instant.
    — En êtes-vous sûr ? finit-il par demander à l’autre bout de la ligne.
    — Hosni l’a repéré. Il loge dans un appartement que nous avons mis sous surveillance. Il est sorti il y a un quart d’heure, comme s’il n’avait pas la moindre inquiétude. Il doit penser que nous avons cessé de le chercher.
    — Où est-il en ce moment ?
    — Dans un taxi, qui se dirige vers Ramla.
    — Vous le suivez ?
    — Bien sûr. Vous voulez qu’on vous le ramène ?
    Le silence plana à nouveau.
    — C’est exactement ce que je veux.
     
    V
    Knox fut agréablement surpris par l’accueil chaleureux de Gaëlle ce soir-là.
    — Tu tombes bien, lança Gaëlle. Ibrahim m’a demandé de commenter quelques photos des peintures de l’antichambre demain. J’ai besoin d’un cobaye pour m’entraîner.
    Elle le conduisit dans sa chambre, sous le regard réprobateur du concierge. La porte-fenêtre de son balcon était ouverte sur la cacophonie de la rue. Des jeunes discutaient et riaient bruyamment, excités par la soirée qui s’annonçait. Un tramway arriva sur les rails avec un bruit de casseroles qu’on entrechoque. Le portable de Gaëlle était ouvert sur son bureau et l’économiseur d’écran dessinait des motifs étranges. Elle bougea la souris et fit apparaître une peinture murale très colorée.
    Knox se pencha en avant, les sourcils froncés.
    — Ça alors ! C’est une photo du site ?
    — C’est un des murs latéraux de l’antichambre.
    — Mais... ce n’est que du plâtre. Comment as-tu fait pour qu’il ressemble à ça ?
    Elle sourit, visiblement ravie.
    — C’est ton ami Augustin qui m’a dit de le mouiller. Avec beaucoup d’eau. Peut-être pas autant que vous en avez pompé ce matin, cela dit.
    Il éclata de rire et se vengea en lui donnant une petite tape sur l’épaule.
    — Tu as fait du bon travail. C’est superbe.
    — Merci.
    — Tu sais qui sont ces personnages ?
    — Celui de gauche est Akylos. Tu sais, le porte-bouclier dont c’était la tombe.
    Knox fronça les sourcils. Ce nom lui était familier, mais ce n’était pas étonnant. Il était assez courant à l’époque.
    — Et l’autre ?
    — C’est un dénommé Apelle de Cos.
    — Apelle de Cos ? répéta Knox, incrédule. Le célèbre peintre ?
    — Ah bon, il était peintre ?
    — C’était même le peintre préféré d’Alexandre. D’après Pline, celui-ci avait tant d’estime pour lui qu’il avait proclamé un édit interdisant que son portrait soit fait par un autre artiste. Apparemment, il se rendait parfois dans son atelier pour voir comment avançait son portrait et lassait tout le monde avec ses commentaires sur l’art et la peinture. Apelle a fini par lui conseiller poliment de se taire, car même les jeunes gens chargés de broyer les pigments se moquaient de son ignorance.
    — Il fallait un certain courage pour le faire, fit remarquer Gaëlle en riant.
    — Alexandre aimait les hommes qui avaient de l’aplomb. Et puis, Apelle savait aussi le flatter. Il l’a peint avec un éclair dans la main, exactement comme Zeus. Sait-on où a lieu cette scène ?
    — À Éphèse, d’après ce que j’ai cru comprendre mais, comme tu le peux le voir, il y a de nombreuses lacunes.
    — Ça serait logique. Alexandre y est allé après sa première victoire contre les Perses, au Granique.
    Il passa devant elle,