Le tombeau d'Alexandre
ferma la photo et en ouvrit une autre, qui représentait des soldats sur un gué.
— Perge, annonça-t-il. Tu connais ?
— Non.
— C’est sur la côte turque, à la hauteur de Rhodes. Pour aller vers le sud, on peut passer par les montagnes, mais l’ascension n’est pas facile. On peut aussi suivre le littoral. Seulement, cet itinéraire n’est accessible que lorsque souffle un vent du nord, qui repousse la mer suffisamment loin pour ouvrir un gué. Quand Alexandre est passé par ici, il y avait un vent du sud mais, tu le connais, cela ne l’a pas arrêté. Il a poursuivi sa route et le vent a tourné juste à temps et juste assez longtemps pour que ses hommes et lui puissent traverser à gué. On raconte que cet épisode est à l’origine de l’histoire de Moïse ouvrant les eaux de la mer Rouge. En effet, Alexandre s’est rendu en Palestine peu de temps après, alors que l’Ancien Testament était encore à l’état embryonnaire.
— C’est un peu fantaisiste, non ?
— Il ne faut pas sous-estimer l’impact de la culture grecque sur les Juifs. Ceux-ci n’auraient pas été humains s’ils n’avaient pas été eux aussi éblouis par Alexandre.
En effet, de nombreux Juifs avaient essayé de s’intégrer, mais cela n’avait pas été facile pour eux. Par exemple, le gymnase était un élément central de la vie sociale grecque. En grec, gymnos signifiait « nu » ; par conséquent, on pouvait définir le gymnase comme l’endroit où l’on se découvrait complètement. Or, les Grecs considéraient le prépuce comme une œuvre d’art divine et la circoncision leur semblait être un acte barbare. Aussi, de nombreux Juifs assimilationnistes avaient essayé de rattraper le travail du mohel en se coupant la peau située à la base du gland ou en suspendant des poids en métal à ce qu’il leur restait de prépuce.
— Ce n’est pas ce que j’entendais par fantaisiste, précisa Gaëlle. L’histoire de l’eau qui se retire miraculeusement pour laisser passer un héros fait partie de la mythologie ancienne, tout comme les inondations envoyées pour détruire les ennemis. Si je devais parier sur quelqu’un, je choisirais le roi Sargon.
— L’Akkadien ?
— Oui, mille ans avant Moïse, deux mille ans avant Alexandre. Le Tigre et l’Euphrate se seraient asséchés devant lui. Et il avait déjà un point commun avec Moïse.
— Lequel ?
— Sa mère l’a couché dans une corbeille en jonc et déposé sur le fleuve, exactement comme Moïse. Il a été trouvé par Aqqi, un puiseur d’eau qui l’a élevé comme son fils. Remarque, ces histoires d’enfants échangés étaient assez courantes. Elles permettaient aux poètes d’illustrer une certaine justice cosmique. Prends Œdipe, par exemple. Abandonné par son père et condamné à mourir de froid, il est revenu pour le tuer.
— C’est étrange, les mêmes histoires ont émergé dans toute la Méditerranée orientale.
— Pas si étrange que cela. Cette région était une vaste plate-forme d’échanges. Et les marchands adoraient faire circuler des contes.
— N’oublions pas non plus que toute cette zone comptait de nombreux ménestrels. Et tu sais ce que faisaient les ménestrels ?
— Ils voyageaient, répondit Gaëlle en souriant.
Leurs regards s’attardèrent l’un sur l’autre un instant. Knox se retourna vers l’écran.
— C’est une carte des campagnes d’Alexandre, alors ? demanda-t-il.
— Pas vraiment, répondit Gaëlle. C’est la vie d’Akylos. Il se trouve que c’est la même que celle d’Alexandre.
Elle ouvrit une autre photo, une cité fortifiée entourée d’eau, menacée par un immense satyre, un dieu grec anthropomorphique, mi-homme mi-bouc.
— Celle-ci me laisse perplexe, avoua-t-elle. En voyant les remparts et l’eau, j’ai pensé que c’était peut-être Tyr, mais...
— Oui, c’est Tyr.
— Comment peux-tu en être aussi sûr ?
— Tyr était réputée imprenable. Même Alexandre a eu des difficultés à entrer dans la cité. Mais une nuit, il a rêvé d’un satyre qui se moquait de lui. Il le pourchassait pour essayer de l’attraper, mais celui-ci parvenait toujours à s’échapper. Finalement, il a réussi à le capturer. Le lendemain matin, il a demandé à ses devins de lui interpréter ce rêve. Ils lui ont expliqué que satyros était composé de sa, « ton », et Tyros, « Tyr », deux mots qui signifiaient « Tyr est à toi ». Ce
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