Le tombeau d'Alexandre
qu’on l’a tué pour le neutraliser ?
— C’est ce que j’ai pensé à l’époque.
— Et qu’est-ce que tu as fait ?
IV
Gaëlle regarda Philippe Dragoumis, horrifiée.
— Vous l’avez tué ?
— Comprenez-moi bien, mademoiselle Bonnard. Je suis un patriote macédonien. Toute cette région a jadis été la Macédoine. Puis elle a été morcelée en vertu du traité de Bucarest et attribuée à la Serbie, à la Bulgarie et à la Grèce. J’ai passé ma vie entière à essayer de réparer cette grossière injustice. Mais d’autres, des hommes comme Pavlos, pensent que cette région appartient légitimement à la Grèce. Aussi, ils tentent de me discréditer. Pavlos était doué pour cela. Il a réclamé une enquête car il savait qu’il avait les moyens de me salir. Quand il est mort, cette histoire d’enquête est tombée à l’eau. Alors vous comprenez pourquoi on m’accuse de l’avoir tué. Mais je ne l’ai pas tué, vous pouvez me croire. Pavlos n’a jamais été un ennemi pour moi, seulement un adversaire, et il y a un monde entre les deux. Même si j’avais employé des méthodes violentes, ce qui n’est pas le cas, je n’en aurais jamais usé contre Pavlos. Du reste, c’était inutile.
Il s’approcha de Gaëlle.
— Ai-je votre parole que vous ne répéterez jamais à Elena ce que je vais vous révéler ? demanda-t-il.
— Oui.
— Bien. Pavlos avait commis une imprudence. Et j’en avais la preuve irréfutable. La divulgation de cette information aurait été... problématique pour lui. Nous en avions parlé ensemble. Je vous assure qu’il ne représentait plus aucune menace pour moi.
— C’est vous qui le dites.
— Oui, je peux vous l’affirmer, insista-t-il avec une pointe d’impatience dans la voix. Franchement, mademoiselle Bonnard, vous qui côtoyez Elena Koloktronis depuis trois semaines, pensez-vous vraiment qu’elle travaillerait pour moi si elle me croyait coupable du meurtre de son mari ?
Gaëlle réfléchit un instant, mais il n’y avait qu’une réponse possible.
— Non, répondit-elle.
— Pavlos était tout pour Elena. Faites-moi confiance, mademoiselle Bonnard, si elle avait soupçonné que je puisse être derrière la mort de son mari, elle aurait tout fait pour que le monde entier le sache.
— Elle vous aurait dénoncé ?
— Oh, non ! Elle m’aurait tué.
Il sourit en voyant la réaction de Gaëlle.
— C’est un fait, reprit-il d’un ton catégorique. Cela se serait réglé dans le sang. C’est encore une pratique courante dans cette région. Mais quand on sait à quel point elle l’aimait... Je craignais presque qu’elle s’en prenne à moi. Elle ne pouvait pas garder en elle tant de chagrin. Mais, voyez-vous, elle connaissait la vérité. Son mari était un conducteur imprudent, qui ne faisait jamais entretenir sa voiture. Non, Elena avait le cœur brisé mais ne m’a jamais causé de problème. Le problème, c’était Knox, le jeune ami de votre père.
— Knox ? Comment cela ?
— Il pensait que j’avais tué toute sa famille pour réduire Pavlos au silence. Et il s’était juré de me le faire payer, ce qui était tout à fait compréhensible. Alors il a repris la campagne de Pavlos. Il a écrit sans relâche aux élus locaux, aux journaux, aux chaînes de télévision. Il a manifesté devant les bâtiments du gouvernement et les commissariats de police. Il a peint « Enquête Dragoumis » en lettres immenses sur le mur de mon siège social. Il l’a fait imprimer sur des ballons gonflés à l’hélium, il a jeté des tracts depuis le toit des immeubles, il a tendu des banderoles sur les rambardes des stades lors d’événements sportifs télévisés, il a téléphoné aux radios, il...
— Knox ? Knox a fait tout ça ?
— Oui. C’était impressionnant, surtout quand on sait qu’il me croyait capable de meurtre. Il m’a fait beaucoup de tort. Il a sali mon image. Les gens ont commencé à parler. Je lui ai demandé d’arrêter. Il a refusé. Il essayait de me pousser à la faute, comme pour prouver qu’il avait raison. J’ai fini par m’inquiéter pour lui. C’était la douleur qui le poussait à agir ainsi. Et puis, ceux qui soutenaient ma cause voulaient le neutraliser. Nous en sommes arrivés à un point où je ne pouvais plus garantir sa sécurité. Or, s’il lui était arrivé quelque chose... vous voyez ce que je veux dire. Il fallait qu’il parte. Mais il refusait
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