Le tresor de l'indomptable
maisons n’étaient plus que coquilles noircies et où les restes bleuâtres des dépouilles en décomposition remplissaient les puits à ras bord.
À Maubisson, toutefois, régnait une atmosphère particulière et terrifiante dans son horreur. À première vue, la pièce était très confortable avec, sur une estrade d’honneur, tables, bancs et chaires ; des tapisseries et des tentures de couleur ornaient les murs. Des chandelles, posées dans des vases précieux, brillaient. De l’âtre montaient encore des volutes de fumée et de légères odeurs de cuisine flottaient dans l’air. Tout cela n’en rendait que plus horrible le spectacle des corps, ombres silencieuses se balançant au bout d’épaisses cordes enduites de poix. Accrochés à de sinistres crochets de fer enfoncés dans le mur, ils pendaient comme des sacs à moitié vides, jambes, pieds, bras et mains ballant, têtes un peu de côté fixant du regard les ténèbres de l’au-delà.
Corbett, sans tenir compte des exclamations de son entourage, s’approcha. Il examina les solides crochets en forme de L, destinés à recevoir des lanternes, de part et d’autre des fenêtres closes. Près de chaque cadavre une chaire ou un tabouret avait été repoussé. Le magistrat avait vu assez d’hommes ou de femmes pendus pour le reste de ses jours : dépouilles plus noires que le charbon, yeux cavés par les corneilles au bec jaune, figures picotées et trouées par les milans, os creux s’entrechoquant sous les haillons. Ici au contraire, les corps de Maubisson semblaient presque vivants, mis à part les yeux vitreux entrouverts, les bouches béantes et les langues protubérantes.
— Une famille entière ! murmura-t-il.
— Où est Servinus ? s’exclama Castledene. Leur garde privé ? Il n’est pas ici !
Corbett, s’efforçant de percer l’obscurité, ne l’entendit qu’à moitié. Il voulait saisir l’expression de ces visages morts afin de garder en mémoire toute cette atrocité : quand il se lancerait à la poursuite de leur assassin, il ne risquerait pas d’oublier, il serait impitoyable et n’offrirait pas de pardon.
Il recula.
— Détache-les ! ordonna-t-il à Ranulf en secouant la tête, tentant d’ôter de son esprit la vision cauchemardesque de sa propre famille dans une situation aussi effroyable. Par Dieu, Messire, c’est une vraie abomination ! Qu’on les dépende ! ajouta-t-il à l’adresse de Castledene.
Tous prêtèrent main-forte. On poussa les tables, les chaires et les tabourets ; on tira les dagues. Corbett tenta d’ignorer le sifflement de l’air s’échappant des cadavres quand on coupa les noeuds autour de leur cou. Enfin, tous les quatre
— Paulents, sa femme, leur fils et la jeune servante aux cheveux de lin – furent étendus côte à côte sur le plancher.
— J’ai envoyé quérir le père Warfeld à St Alphege, annonça Castledene, ainsi que le médecin de la ville, Peter Desroches. Ils ne tarderont pas.
Corbett s’accroupit au pied de la rangée de dépouilles. Paulents avait la face un peu déformée ; sa femme, son fils et la servante semblaient endormis : si jeunes et pourtant tous enlaidis par le sinistre cercle violacé autour de la gorge, l’étrange teinte de la peau et le gonflement des lèvres. Le magistrat, tâchant de ne pas regarder les visages, se mit à inspecter les poignets et les ongles, le dos des mains et les nuques, et huma les lèvres entrouvertes. Il appuya la main sur le visage de Paulents, puis tâta les muscles de l’épaule, de la poitrine et du ventre.
— Leur trépas doit remonter à quelques heures, déclara-t-il. En tout cas, à ce qu’il me semble : leurs corps commencent à se rigidifier.
— Desroches les examinera, indiqua Castledene.
— Certes, et moi aussi, Sir Walter, répondit Corbett qui continua son examen. Mirabile dictu ! s’exclama-t-il en se relevant.
— Plaît-il, Messire ? interrogea Ranulf en s’approchant, la sueur perlant sur son front, comme chaque fois qu’il voyait des pendus.
Il avait, pour sa part, quelques années plus tôt, échappé de justesse à ce sort et seule l’intervention de Corbett l’avait sauvé.
— Mirabile dictu ! répéta le magistrat. C’est grand miracle ! J’ai inspecté les cadavres, pas en détail, il est vrai, mais n’ai pu déceler ni marque, ni coup, ni trace de violence ou de poison.
Il haussa les épaules.
— Du moins, ainsi que je l’ai dit, selon mon
Weitere Kostenlose Bücher